Star Trek à Salo, le fascisme des images, mis en évidence par Éric Alcyon

En juxtaposant deux univers distincts, la série d'Eric Alcyon, Star Trek à Salo, souligne les mécanismes à l'œuvre dans le résultat conflictuel présenté. Servitude du moment, fascisme rampant, spectacle mensonger en vue de la perte des repères… trouble garanti.

Star Trek à Salo, s’inscrit dans le courant artistique "appropriationniste". Défendu par le critique américain Douglas Crimp de la revue October, il théorisait le travail de la Picture Generation (Sherrie Levine, Cindy Sherman, Richard Prince, Louise Lawler et Barbara Kruger), qui entendait, comme Barthes, critiquer la notion même d’auteur. Mais, au-delà, l’approriationnisme a tendu à s'éloigner de toute velléité critique. En dehors de l'art légitimé comme tel, cette pratique, utilisée désormais par le fanclubbing, tient davantage de l’engouement pour certains produits de la culture pop que sa critique, à l’instar de l’appropriation d’images de la série Star Trek par certains membres de la minorité homosexuelle, relevant alors plus de la camp attitude que de la critique. La supposée relation amoureuse entre le capitaine Kirk et le docteur Spock sous forme de vidéos et de photographies retravaillées numériquement se révèle dès lors plus un hommage à la série qu’un positionnement critique même si l’on peut y relever, ça et là, une pointe d’ironie ou de sarcasme.

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Life after Bush and Gorbatchev
The wall is down but something is lost
Turn on the news it looks like a movie
It makes me wanna sing louie louie

(Iggy Pop, Louie, Louie)


Cette forme d’appropriationnisme là  est inventive, voire espiègle et légère mais confronte peu des registres d’images éloignés, à la différence de la présente série Star Trek à Salo où le chef d’œuvre sulfureux de Pasolini, Salo ou les 120 jours de Sodome "côtoie" la série consensuelle américaine Star Trek, créant une tension entre des univers iconographiques et idéologiques que tout oppose. Culture de masse américaine versus culture politique européenne.


L’effet produit offre matière à réflexion : en quoi Star Trek est-il si consensuel et Salo ou les 120 jours de Sodome si sulfureux ? N’y a-t-il ni mort, ni sang versé, ni violence, ni relation de pouvoir et de domination dans la série ? Cette dernière est-elle aussi neutre et lisse qu’il y parait? En replaçant ses héros du côté des tortionnaires, à la manière dont Pasolini, à son époque, pensait à la naissance d’un nouveau fascisme non plus "traditionnel" mais incarné par la société de consommation, les hommes de l'Entreprise évoluent au sein d’un groupe de fascistes italiens. Critique contemporaine du libéralisme et de l’ordre moral triomphants depuis les années Thatcher-Reagan? Libéralisme et ordre moral, aujourd’hui parfaitement entretenus par Facebook ou Instagram, où le moindre téton féminin (et non pas masculin bien évidemment…) est censuré, généralement après dénonciation par d’autres membres du réseau. Ultralibéralisme et ordre moral donc qui, depuis les analyses de Pasolini, s’accompagnent d’un retour aux nationalismes, au religieux et au familialisme traditionaliste. Voilà qui complique les éventuelles velléités de résistance intimidées par les formes de pouvoir auxquelles s’ajoute la continuelle expansion télévisuelle de la société du spectacle, omniprésente sur le net. Multiplicité anarchique de pouvoirs là où Pasolini n’évoquait pour sa part que l’unicité du pouvoir. Ce sont l’arbitraire et la violence du pouvoir qui créent une forme d’anarchie, pour une grande partie de la population qui y perd finalement ses capacités d’organisation et de réaction.  Autrefois, on parlait de détournement, aujourd'hui, d'appropriationnisme. Les temps changent, le sens des images suit.    

Jean-Pierre Simard avec Éric Alcyon
http://www.ericalcyon.com/p750884280