L'optimisme combatif de Nathan Micay éclaire la piste de danse

Avoir remixé Sufjan Stevens à 19 ans en version jungle et être un fan total d’Akira, voilà ce qui caractérise Nathan Micay. Son second album, The World I’m Going To Hell For envoie une réflexion sur le vieux monde pourrissant, avec les dents. Et sa house méditative et cinématique ouvre de jolies perspectives. On suit !

Blue Spring, son premier album sur LuckyMe par son alias Bwana, était déjà une référence aux fêtes anglaises et allait jusqu’à réenvisager la somptueuse rave du Catlemorton Common Festival, à l’origine du Criminal Justice and Public Order Act 1994 qui les interdirent. Mais l’actuel voit les choses différemment car, The World I'm Going to Hell For abandonne presque complètement la piste de danse, optant pour une approche plus cinématographique qui se replie sur des éléments d'ambient, d'IDM et les coins plus émotifs de la bass culture. Ce qui, en temps de pandémie, montre une ouverture d’esprit peu commune. Mais pas seulement car, le propos s’avère politique - et c’est tant mieux.

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Si le Canadien, aujourd’hui basé à Berlin, a grandi en jouant du banjo, du violon, de l'alto et du violoncelle, et a fait partie d'un orchestre de jeunes à Toronto pendant de nombreuses années ; plus récemment, son label Schvitz Edits - l'un des trois qu'il dirige - a annoncé la sortie prochaine de reprises en version club de Dr John et Gordon Lightfoot. Cet homme sait intriguer !

The World I'm Going to Hell For, son travail, initialement publié sur une cassette en édition limitée, à la fin de l'année dernière qui devait sortir cet automne, a finalement été mis en ligne sur Bandcamp, à cause de la crise de COVID-19. Après deux ans de travail, la majeure partie de l'album a été créée en utilisant uniquement un violoncelle, un alto, un violon et une pédale de distorsion. Cette approche dépouillée confère à la musique une sensibilité classique et des dimensions cinématiques ; seule une poignée des 13 titres comporte des percussions notables. Il s'agit toujours de musique électronique, mais les cordes sont l'élément dominant, et des chansons comme Natey, Get on Your Horse, For the Hawk of the Millennium Empire et Never Rhythm Game sont le genre de vignettes mélancoliques qui pourraient faire résonner une scène de film particulièrement déchirante. Billing Service est plus édifiant, car il comprend une voix inattendue de Micay lui-même ; c'est ce qui se rapproche le plus d'une production à la Arthur Russell, d’excellente mémoire.

The World I'm Going to Hell For est son album le plus ouvertement politique à ce jour, en réponse à la "rhétorique dépassée prononcée par des humains dépassés au pouvoir" à s'appuyer sur le récit dystopique qu'il a élaboré avec Blue Spring et la bande dessinée qui l'accompagne. On peut le rapprocher du précédent Capsule's Pride, l'album sur le thème d'Akira sorti en 2016 sous le nom de Bwana. (Sans doute l'anime le plus célèbre de tous les temps, Akira est aussi une histoire de lutte contre l'oppression du gouvernement). Bien que Capsule's Pride soit plus fortement imprégné d’ambiances club et de synthés brillants que The World I'm Going to Hell For, les deux partagent une sensibilité cinématographique et mettent en avant le talent de Micay pour penser plus grand que le dancefloor. Comme toutes les bonnes B.O., The World I'm Going to Hell For s’entend mieux dans la continuité, mais possède aussi quelques points forts. Avec ses synthés étincelants et ses cordes luxueuses, le Who Shaves the Barber offre un faste joyeux qui ne déparerait pas une garden-party royale, tandis que If the World's Still Here on Monday compense son air maussade par des vrilles mélodiques étincelantes. V est plus discret, mais l'atmosphère en est majestueuse. On trouve aussi un brillant titre spécial DJ, le housey Panz.

On assiste ici à un virage créatif abrupt de Micay. Face à l’avenir incertain, là où de nombreux artistes s’offrent des refuges virtuels ou ne balancent que des clichés de malheur imminent, Micay a trouvé une autre voie. The World I'm Going to Hell For est un disque posé qui offre ses moments de deuil et d'introspection réfléchie, mais où la musique ne tombe jamais dans le désespoir définitif. Cet exercice plein d'espoir, à une époque où le monde entier a l'impression de s'effondrer, montre que le choix de Micay de laisser l'optimisme éclairer la voie a quelque chose de particulièrement puissant. Et mérite qu’on s’y attarde pour entendre un autre son de cloche que les sirènes d’un constant malheur de vivre. Bien vu !

Jean-Pierre Simard

Nathan Micay - The World I'm Going to Hell For - LuckyMe

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