Masha Ivashintsova, la photographe inconnue de Leningrad morte à l'asile

Déclencheuse compulsive, mais inconnue, aux 30 000 images découvertes dans une cave par sa fille, Masha Ivashintsova (1942-2000) de Leningrad a terminé sa vie dans un asile, le régime soviétique n'ayant d'autre traitement pour la dépression que la prison pour refus de travailler ou l'asile… Sublime découverte. 

La Neva en hiver 1979

Asya Ivashintsova, sa fille unique a découvert, l'an passé au fond de la cave familiale, des cartons de négatifs et de films non développés dont on voit ici les premiers tirages. Une pécadille, par rapport aux 30 000 clichés pris au long d'une vie, mais jamais montrés à quiconque, par peur de n'avoir le talent nécessaire pour ce faire. 

Auto-portrait de Masha Ivashintsova, avec un chapeau similaire à celui arboré par Vivian Maier

Masha Ivashintsova a vu le jour au sein d'une famille aristocratique spoliée par le régime communiste, en plein milieu de la Seconde Guerre mondiale, en 1942 à Leningrad (redevenue depuis St Petersburg). Sa grand-mère lui a d'abord fait suivre le conservatoire de danse pour devenir ballerine. Mais, à sa mort, ses parents l'ont remis dans le circuit scolaire pour lui faire suivre des études techniques. 

Un terrain de jeux à thème cosmonaute à St Petersburg, années 70

Leningrad 1976

Sa carrière artistique tuée dans l'œuf, Ivashintsova se consacra à divers jobs, dont celui de critique théâtral, pendant que sa vie privée suivait une pente aussi chaotique que dissolue. 

Melvar Melkumyan, ex-mari d'Ivashintsova après leur séparation

Le même Melvar Melkumyan avec leur fille Asya en 1976

Ses journaux retrouvés montrent une femme qui a toujours envisagé son talent comme inférieur à celui des hommes dont elle partageait la vie. Et c'est à ce titre, qu'elle n'a jamais montré ses photos à personne; sa fille affirmant que : " d'après elle, son étoile brillait d'un feu trop faible, par rapport à la lumière diffusée par celles de ses amants. "

Un de ses amants, le poète Viktor Krivulin

Autre amant, le photographe Boris Smelov avec Masha en arrière-plan

Alors qu'elle photographiait quasiment tous les jours, la dépression la dévorait à petit feu qui la faisait quitter à un emploi après l'autre. En 1981 elle se retrouva sans emploi. Dans le système soviétique, où cet état était passible de prison, on lui laissa le choix entre l'incarcération ou l'hôpital psychiatrique. Elle choisit le second et, d'après sa famille, passa 10 ans enfermée, peu à peu détruite par les traitements médicamenteux qu'on lui administrait. Et sa fille d'ajouter ironiquement que sa mère n'avait jamais bien pu intégrer tout ce qui faisait les "bienfaits et joies diverses du socialisme." 

Statue déboulonnée de Staline à St Petersburg

Célébration communiste à St Petersburg

Synchronicité, quand tu nous tiens… , c'est après avoir quitté son emploi, en novembre 2017  que le mari d'Asya s'est intéressé à la découverte de sa femme en triant les 30 000 clichés issus de la cave familiale. Depuis, Asya est assaillie par des galeries qui veulent exposer le travail et des collectionneurs qui veulent être les premiers acheteurs. Cette dernière n'a pas de plan précis pour la suite, absorbée qu'elle est en ce moment-même à scanner les premières découvertes, une à une, pour enfin révéler au monde le travail de sa mère.  

Enfants de St Petersburg

Singe enchaîné à la fenêtre - d'après sa fille, une image prémonitoire, prise 3 ans avant son enfermement.

Dire qu'il s'agit d'une découverte majeure de la photographie du XXe siècle n'est que le début du travail, puisqu'il apparait que celui-ci est un joyeux composite russe des démarches croisées de Walker Evans, Nan Goldin et August Sander. Sa photo du kid de Leningrad n'ayant rien à envier à celle du kid de Chaplin et ses clichés d'amants et de la vie des 70's, beaucoup à voir aussi avec le travail documentaire de Depardon ou des photographes de la même période aux USA. C'est à juste titre que les premiers à en parler évoquent à son égard l'américaine Vivian Maier qui sa vie durant n'avait aussi rien publié, se cantonnant à son travail de nounou… Rien moins. Et c'est déjà beaucoup. Vite, la suite ! 

Un futur ingénieur aéronautique.

Un ami de la famille en 1974

Toutes photos de Masha Ivashintsova

Amos Chappel sur Peta-Pixel, adapté par Jean-Pierre Simard

Enfants à la campagne

Enfants souriants de Saraya

Le site monté par sa fille pour lui rendre hommage, en anglais