Pourquoi les sons du Kinshasa de 1978 enthousiasment toujours les danseurs…

Au départ de cette histoire, il y a un producteur de France Musique, Bernard Treton, parti former des ingénieurs du son à Kinshasa en 1978 et qui demande aux gens sur place, qui enregistrer pour faire tourner les sons contemporains du Zaïre. Et puis, rebondissant cette année, son ami Martin Meissonnier, producteur de Fela Kuti, King Sunny Ade et Papa Wemba, et devenu deejay ces derniers temps, qui remixe le tout pour aujourd’hui. Le futur ne date pas d’hier… 

Konono n°1 - dont l’album Congotronics figure dans la liste des 100 meilleurs albums du XXIe siècle, établie en septembre 2019 par un jury de 45 critiques britanniques.

En 1978, Bernard Treton enregistrait quatre groupes 'tradi-modernes' à Kinshasa. Une partie de ces sessions allait engendrer l'album "Zaïre: Musiques Urbaines à Kinshasa" (publié en 1986 par Ocora), le premier disque à présenter la musique renversante qui, vingt ans plus tard, séduira le public occidental sous le nom générique de "Congotronics". Ce nouvel album bi-dimensionnel comprend environ 80 minutes d'enregistrements originaux inédits réalisés durant ces sessions en 1978, ainsi que de nouvelles reconstructions créées par Martin Meissonnier qui a récemment repris ses activités de DJ.

Les quatre groupes de l’album :

Tout comme Konono, les autres groupes qui figurent sur l'album étaient constitués de musiciens venus de l’intérieur du pays s’installer dans la capitale, qui s'étaient vus contraints d'amplifier leurs instruments traditionnels par des moyens de fortune afin de pouvoir se faire entendre au milieu du vacarme urbain ;ce qui a provoqué une mutation de leur son, de leur technique de jeu et de leur répertoire.

Konono N°1 et leurs désormais fameux likembés (pianos à pouces) électrifiés ont été massivement adoptés par les scènes electronica, world et rock alternatif depuis la parution de leur album Congotronics en 2004. Les ingrédients de base de leur son étaient déjà en place, dès 1978: distorsion générée par leur amplification bricolée, rythme frénétique, instruments de percussion confectionnés à partir de matériel de récupération.

Orchestre Bana Luya se composait de musiciens Luba originaires de Mbuji Mayi, chef-lieu du Kasaï oriental. Fondé en 1967, le groupe utilisait lui aussi un ensemble de likembés électriques. Détail intéressant: Kabongo Tshisense, fondateur du groupe Masanka qui devait plus tard fusionner avec Sankayi pour ensuite intégrer le collectif Kasai Allstars, faisait partie de Bana Luya lors de ces enregistrements.

Sankayi était dirigé par le grand Mbuyamba Nyuni. Chanteur, danseur, facteur d'instruments, conteur, il jouait du likembé basse géant, sur lequel il se tenait assis comme sur une luge (comme on peut le voir dans certaines videos de Kasai Allstars). Membre fondateur de Kasai Allstars, il est malheureusement décédé en 2011. Sur cet enregistrement, Sankayi ont eu recours à divers likembés et percussions, ainsi qu'à l'habituelle bouteille sur laquelle est marqué le rythme emblématique de la musique du Kasaï.

Orchestre Bambala se composait de musiciens issus du groupe ethnique Mbala, de la région de Bandundu. Leurs chansons joviales et entraînantes, emmenés par un accordéon très rythmique, se jouaient généralement lors d'événements sociaux (baptêmes, mariages, deuils).

Publiés par Ocora les sons du Kin 78 n’entrainent pas un enthousiasme délirant auprès des radios, sauf les libres dont Nova… mais attirent l’oreille du producteur belge Vincent Kenis qui œuvre pour Crammed Disc et part sur place en quête de Konono, dont il mettra des années à trouver la trace et enregistrer leur premier album qui va cartonner… Même le Paris des années 80, pourtant féru de sons nouveaux ne tiltera pas, il faudra attendre que la techno s’impose la fin des années 90 et le début du XXI e siècle pour que ce son prenne et que Konono n°1 et les Kasai Alllstars finissent par participer à des enregistrements de Björk, CocoRosie, Herbie Hancock, Animal Collective, Juana Molina ou encore Deerhoof … 

Et puis, arrive dans l’histoire un certain Martin Meissonnier qui remixe les titres de l’original à sa sauce … Après des débuts comme promoteur de concerts et musicien à 18 ans, et comme journaliste musical à Libération et France Musique, Martin devient un producteur renommé et travaille sur des albums de Fela Kuti, King Sunny Adé, Don Cherry, Tony Allen, Khaled, Manu Dibango, Yasuaki Shimizu, Haruomi Hosono et de nombreux autres. En 1989, il crée une émission de télévision qui fait date : Megamix, qui traite des musiques dans le monde, dont il réalise pas moins de 220 épisodes diffusés sur ARTE et d'autres chaînes. Martin se tourne ensuite vers le film documentaire, il en réalise plus de 20 (principalement pour ARTE et Canal+), sur des sujets musicaux, politiques, historiques, sur les arts numériques etc. Il réalise également de nombreuses musiques de film.

Un Martin qui déclare : Bernard Treton est un collègue et ami de longue date, puisque nous travaillions ensemble à France Musique dans les années 1970, bien souvent avec les compositeurs de musique minimale, dont nous étions férus. Quand il est parti au Zaïre, il me tenait régulièrement au courant de ses découvertes sur la scène émergente, avec des groupes comme TP Konono N°1, les Stukas. et me rapportait des 45 tours. J’étais fasciné par ces musiciens africains quasi-punk qui fabriquaient eux-mêmes leurs micros et jouaient dans la rue devant des faux amplis. Lorsqu’il m’a proposé de faire des remixes à partir des bandes stéréo originales, je n’ai pas hésité, je souhaitais rester au plus près des rythmes et l’esprit de la transe tout en leur offrant un plus gros son, pour les intégrer dans mes DJ sets. Et effectivement, ça fonctionne auprès d’un public très jeune, qui me demande toujours d’où viennent ces sons étranges qu’ils ne peuvent pas shazamer.

L'album se présente sous la forme d'un vinyle comprenant les reconstructions de Martin Meissonnier, tandis que les enregistrements inédits de 1978 figurent sur un CD contenu dans la pochette. Toutes les royalties générées par l'album seront versées à Médecins Sans Frontières.

Jean-Pierre Simard le 25/11/119 

V.A. - Kinshasa 1978 originals and reconstructions - Crammed Disc

TRACK LIST
Reconstructions
(sur le LP vinyle)

A1. Sankayi : Il ne faut pas intervenir (15:47)
A2. Konono N°1 : Roots of K (12:06) (6.20)
B1. Orchestre Bambala : Animation Kifuti (7.29)
B2. Orchestre Bana Luya : Animation (15:33)

Originals (dans le CD inclus)
1. Konono N°1 : Kin 78 One (28:05)
2. Orchestre Bana Luya : Kin 78 Two (15.03)
3. Orchestre Bambala : Kin 78 Three (12.06)
4. Sankayi : Kin 78 Four ( 22:25 )

-> Monday Jump, spécial Kinshasa 78, au Cabaret Sauvage, le 27/01/20 (de 19,30 h à 1,30 h) pour la première des soirées organisées par Martin Meissonnier avec, comme invité d’honneur, le Président Nyboma, dernier grand de la rumba, dont on vous reparlera bientôt pour la sortie de l’album à venir …