L'électricité psychédélique 70's de Rəhman Məmmədli (opère toujours!)

Le multi-instrumentiste Rəhman Məmmədli s'est fait un nom dans les années 1970 comme l'un des plus grands innovateurs de la guitare électrique en Azerbaïdjan. Maniant une Jolana tchécoslovaque, il a trouvé des moyens inédits de plier et de tordre le fuzz et la réverbération en de nouvelles formes lumineuses, donnant pratiquement vie à l'électricité brute, ce qui lui a valu une épithète se traduisant par "celui qui a les doigts qui chantent".

Bien que comparable au rock psychédélique des années 1960 et 1970, le style de Məmmədli se distingue non seulement par de puissantes explosions de distorsion, de vitesse et de volume, mais aussi par ce qu'il choisit d'amplifier. La nouvelle compilation de Bongo Joe, Azerbaijani Gitara Volume 2, présente le répertoire de Məmmədli, un échantillon intense et brillant de ses transformations radicales de mélodies et de thèmes classiques de son Caucase natal.

Son adhésion aux traditions musicales ne rend pas Məmmədli moins excitant en tant que rock star. Au contraire, elle donne à sa musique une base solide : des lits de synthétiseurs, d'accordéon et de percussions acoustiques et machinales plantent le décor sur chaque morceau, qu'il s'agisse de musique de danse à haute énergie (comme dans "Yanıq Kərəmı̇" et "Leylı̇can") ou de moments d'extase soutenus plus longuement (comme dans "Qoçəlı̇" et "Xal Qalmadı"). Dans l'art du mugham azerbaïdjanais, ces bases sonores stables sont essentielles pour soutenir la fluidité de la poésie chantée. Məmmədli, cependant, remplace la voix humaine par son jeu d'une agilité peu commune, aussi rapide et émotif, semble-t-il, qu'un seul interprète pourrait l'être, quel que soit son instrument. Par tours tourbillonnants, il gémit, exulte et déchiquette, ses cordes étant toujours un brasier de sons vifs contrôlés avec précision.

Malgré toute leur chaleur, la plupart des morceaux sont relativement minces, des structures directes, une couche de guitare sur une couche de tout le reste, bien comprimée. Cela ne diminue en rien leur impact - au contraire, c'est d'autant plus impressionnant de voir à quel point Rəhman Məmmədli tire parti d'une instrumentation et d'une production aussi minimales. Quelques titres situés vers le milieu de l'album sont particulièrement remarquables dans l'œuvre de Məmmədli pour leur profondeur et leur inventivité. La première, "Xarı Bülbül", s'inspire d'un conte du XVIe siècle sur l'exil et le mal du pays. Le jeu de Məmmədli est ici plus subtil que partout ailleurs sur l'album, les notes individuelles sonnant avec une résonance de cloche sur des percussions à main discrètes et un accordéon étiré. C'est un changement de rythme exquis.

Ensuite, "Qoca Dağlar" revient doucement vers des textures plus denses et des échanges plus animés entre les instruments, menant à une série de cris oscillants particulièrement perçants de la guitare qui rendent la dernière minute et demie carrément poignante. "Uca Dağlar Bas" vient ensuite, avec des triolets percussifs qui animent le corps entre deux moments sculpturaux où la guitare s'élève librement. Dans un album rempli de morceaux passionnants, ceux-ci sont particulièrement exceptionnels.

Cependant, il n'est pas nécessaire de les distinguer pour écouter ce nouvel opus d'Azerbaijani Gitara. Dans chaque chanson, Məmmədli place la barre très haut en termes de créativité et de continuité, de l'aiguillon sensuel du morceau d'ouverture, "Qoçəlı̇", jusqu'à la mélancolie éolienne de la ballade finale, "Gəl Gəl Ey Göz". Ici, la musique dépasse largement les limites du mugham, et Rəhman Məmmədli éblouit, méritant d'être reconnu pour ses reconfigurations imaginatives de formes anciennes et son jeu palpable et passionné.

Jean-Pierre Simard avec Bandcamp, le 19/06/2024
Rəhman Məmmədli – Azerbaijani Gitara volume 2 - Bandcamp