Courage fuyons : Le village olympique ressemble à une ZAC de promoteurs du XXe siècle
Le 29 février 2024, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solidéo) a officiellement inauguré en présence de Vulcain ex-Jupiter, président de la République, le Village Olympique et Paralympique Paris 2024. Pour autant, le village olympique de Paris – ouvrage libéral – fait-il encore rêver ? Ses promesses étaient nombreuses, ont-elles été tenues ? Avenir social pour le Village ? Comme à Grenoble ?
Le projet de Dominique Perrault pour le village olympique de Paris 2024 devait, disait-il, faire vivre aux athlètes « une expérience urbaine de qualité, singulière car ancrée dans son territoire ».
Ce village olympique – encore est-il permis de s’interroger sur le mot lui-même car ce Village n’a rien de l’image rassurante d’un village stricto sensu – devait faire rêver, surtout qu’il serait en bois et tellement bas carbone qu’il donnerait naissance à un nouveau biotope fait de forêts urbaines fortes de 9 000 arbres, pas moins, et de relations douces au fleuve où s’épanouissent les saumons. Une belle image, comme celle de transports en commun modernes, fluides et efficients, qui n’était pas sans susciter l’enthousiasme de tout ce que la France élue compte de défenseurs de la planète.
En fait de bois au Village, finalement des structures mixtes béton-bois, évidemment, mais pour autant un bel exemple d’usage industriel de l’essence douglas – le CLT étant à la forêt urbaine ce que la rose en plastique est à la fleur – puisque Georges-Henri Florentin, président de France bois 2024 et ancien directeur général de l’institut technologique FCBA, indiquait en avril 2023, cité par le magazine de l’Institut national de la consommation (INC), que l’objectif était d’intégrer plus de 30 000 m3 de bois en tout (il y en eut finalement un peu moins. nda) et « 50 % de bois français ». Bel aveu : 50 % du bois du Village est donc importé ! Le transport est-il inclus dans le bilan carbone ? Qu’est-ce que cela aurait été s’il avait été véritablement construit en bois le Village ! Le même homme assurait bien entendu que « d’où qu’il vienne, 100 % du bois provient de forêts gérées durablement ». Évidemment ! Ne manquerait plus que ça ! D’autant plus que personne n’était pressé.
Qui plus est, pour des raisons réglementaires qui échappent aux Finlandais, le bois ne peut plus en France être apparent dans les logements, sauf bien entendu pour l’escalier du duplex issu d’un catalogue normé. Les structures elles-mêmes sont rarement apparentes. Il y a pour autant des efforts de qualité, des détails qui évoquent la sensibilité des architectes. Il n’y a cependant, à le visiter, rien de spectaculaire et pas d’effet bois ou biosourcé au village olympique.
Que ce Village soit loin de l’image d’Épinal vendue aux crédules ne doit étonner personne. C’était inscrit dans sa constitution même puisque le classement des offres des opérateurs immobiliers a été dévoilé par le Conseil d’administration de la Solidéo le 13 octobre 2020. Les Jeux olympiques laisseront donc en héritage aux communes de Saint-Denis, Saint-Ouen et l’Ile-Saint-Denis, toutes trois en Seine-Saint-Denis, 2 800 logements avec parmi les principaux constructeurs, Icade, Nexity et Vinci.
Comment pleurer aujourd’hui que ce ‘village olympique’ qui fait la fierté du pays et des Cyclopes de Vulcain ressemble autant à une ZAC de promoteurs ?
Paris 2024 ? Plutôt un quartier hors-sol à l’alignement soviétique raide comme la justice d’immeubles colorés. Une idée qui n’est pas sans rappeler l’initiative d’Edi Rama, maire de Tirana, en Albanie, qui dans les années 2000 avait entrepris de ripoliner des quartiers entiers pour cacher la misère bolchevique. En 2013, il était devenu Premier ministre du pays.
Le Village d’Athena et de Nike est un nouveau quartier au fond très XXe siècle, d’abord période Pierre de Coubertin puis période Trente glorieuses, à propos duquel les articles dithyrambiques ne sont pas sans rappeler l’enthousiasme accordé aux premiers grands ensembles, en Seine-Saint-Denis notamment. Ancré dans le territoire en effet le village !
A contrario, les réseaux sociaux s’en sont méchamment donnés à coeur joie de l’urbanisme innovant, relayés bien sûr par quelques hommes et femmes politiques opportunistes, autant de sources peu fiables cependant. Plus sûre, comme dirait Vulcain ex-Jupiter, est la sanction du marché.
Pour le coup, nous en sommes à l’accident industriel.
Se souvenir que Mathieu Hanotin, maire PS de Saint-Denis depuis 2020, souhaitait encore en 2022 « une hausse des prix de sorties des logements sur le village olympique » comme le révélait un article de Cadre de Ville le 27 janvier 2022 cité par BSD Le blog de Saint-Denis, l’idée étant « de tirer la composition sociale vers le haut, comme le maire de Saint-Ouen l’avait déjà demandé ». La gentrification organisée en somme !
D’où des premiers prix « de sortie » à 7 500 à 8 000 €/m² pour un deux-pièces, un peu moins (6 700 à 7 000 €) pour un trois-pièces indiquait Le Monde en juin 2023. À se demander d’ailleurs pourquoi quiconque irait jusqu’en Seine-Saint-Denis quand il peut facilement à ce prix-là se loger à Paris intra-muros entre les XIXe et le XIIIe arrondissements. Il y aura certes un jour des services dans le village olympique, dont deux écoles, mais ils viendront après les athlètes et s’il faut attendre aussi longtemps pour ce quartier de prendre vie qu’à l’avenue de France à Paris encore sous sédatif, prévoir le bonheur de ses petits-enfants. Et encore…
En effet, avec la crise de l’immobilier que traverse le pays, en guise de gentrification bourgeoise, c’est l’inverse qui risque de se passer au Village. Les promoteurs avaient du rêve plein les yeux au moment de lancer les programmes. Pendant l’abondance, la Solidéo avait imposé que la commercialisation des appartements ne démarre qu’à l’été 2023. Trop tard ! Le marché s’est retourné et les appartements, qui ne seront par ailleurs pas disponibles avant 2025 au plus tôt, ne trouvent pas preneurs. Malgré une substantielle baisse des prix, vraiment, qui veut vivre en Seine-Saint-Denis dans un quartier neuf qui semble déjà dater du siècle dernier ?
S’il est vrai qu’il est difficile pour les acquéreurs éventuels de se projeter dans ce quartier sans commerces et encore longtemps en transformation, pour autant si l’affaire tourne à la catastrophe, l’État ne pourra pas perdre la face ni les promoteurs y laisser trop de plumes. La solution est toute trouvée.
Se souvenir qu’en juillet 2023, la bise ayant frigorifié la promotion privée, l’État bonhomme, par la voix de la première ministre Élisabeth Borne, en conclusion du Conseil national de la refondation consacré au logement, annonçait comme seule mesure d’envergure le rachat de près de 50 000 logements auprès des promoteurs immobiliers par CDC Habitat (pour 17 000 logements) et Action Logement (pour 30 000). Pour les promoteurs, pile je gagne beaucoup, face je m’en sors quand même aux frais du contribuable ! Ces logements seront destinés au « social », comme sans doute le furent ceux du village olympique construit pour les jeux de Grenoble en 1966-1967 par Maurice Novarina.
Il est vraisemblable que les premiers acquéreurs, au prix fort, de ces logements en ZAC Bas Carbone Olympique seront les premiers à déguerpir à l’arrivée d’un voisinage non annoncé dans les brochures des commercialisateurs, 25 % du total déjà réglementairement coché social. Peut-être le maire de Saint-Denis risque-t-il de regretter amèrement les belles perspectives du projet olympique qu’il faut aujourd’hui chercher vaillamment dans le village finalement construit.
Surtout, il ressort de ce Village sans lieu de culte et sans guinguette l’impression d’une ville déjà vieille qui n’a finalement que peu de rapport avec Paris et l’Île-de-France de demain. Où est-on dans ce village olympique ? À Paris ? Avenue de France ? Dans le 9-3 ? Ancré dans le territoire ? Vraiment ? Lequel ?
Un quartier contemporain qui fait honneur au plan Voisin… Comme s’il en manquait !
Noter à ce propos que, en proue des paquebots perpendiculaires à la Seine imaginés par Dominique Perrault – comme le Titanic presque perpendiculaire à l’iceberg – des architectes de ce siècle ont osé la pièce de vie de ces appartements orientée au nord, avec l’extension extérieure idoine. En 2050, avec vue sur la Seine, au frais, sans doute qu’il y fera bon vivre. Comme quoi…
Il convient encore de noter que si Dominique Perrault a imaginé le Village, c’est Michel Guthmann, fondateur de l’agence MGAU, qui depuis 2021 assure la coordination urbaine et architecturale du projet sur la partie Saint-Ouen et Saint-Denis. Noter encore que les travaux ont été livrés par toutes les équipes de maîtrise d’œuvre en temps et en heure, avec plusieurs mois d’avance, sans crise de nerfs médiatique. Réaliser en quatre ou cinq ans ce qui habituellement en prend quinze n’est pas une moindre performance dans ce pays. Les élus et promoteurs si fiers devraient en réalité baiser les pieds des architectes stakhanovistes !
Pour autant, ce qui va demeurer est une rigidité d’appareil appliquée à l’urbanisme et il faut espérer que comme c’est Dominique Perrault qui l’a imaginée, elle a peut-être une chance de fonctionner. Sinon la raideur appliquée par un médiocre…
Fatalité du dessin fonctionnel et efficace ? Se souvenir que le village olympique édifié pour les jeux de Lake Placid (1980), en Utah aux USA, a été transformé en prison !
Il suffit pourtant de traverser la Seine via la toute nouvelle passerelle pour arriver à une autre partie du village des athlètes, toute petite et inconnue de Vulcain ex-Jupiter. L’agence Philippon-Kalt (Brigitte Philippon – Jean Kalt) est l’auteure du schéma directeur. La densité est la même – et question densité, le Village se pose là, des deux côtés de la Seine – et sans doute est-ce dû à l’insularité mais l’échelle semble soudain plus humaine et pour le visiteur la sensation de pouvoir enfin toucher et ressentir une architecture aimable.
Sur l’Île-Saint-Denis, où se retrouvent d’ailleurs des agences aperçues de l’autre côté, des hauteurs similaires mais un urbanisme de venelles, de vues dérobées, une vision estivale de la ville. Ici, les bâtiments en front de Seine abreuvés de lumière font face au Village officiel ; leurs appartements n’auront aucun mal à trouver preneur. La rive du fleuve est accessible sans ascenseur. Une question d‘échelle ressentie ?
L’insularité impose sans doute des contraintes d’imagination que n’impose pas la tabula rasa, il est cependant permis de penser que si deux athlètes des jeux doivent se retrouver plus tard, l’un ayant vécu deux semaines au village olympique de Saint-Denis et Saint-Ouen, l’autre sur l’Île-Saint-Denis, sans doute auront-ils l’impression d’avoir vécu dans deux pays différents.
Encore que l’insularité… À un jet de pierre du village de l’île-Saint-Denis, se retrouve un urbanisme très patrimoine du XXe siècle similaire à celui du village officiel de l’autre côté de la Seine. Là les athlètes ne sont cependant pas les bienvenus.
Tiens, justement, en janvier 2024, l’État a annoncé la mise en vente de plusieurs bâtiments de l’ancien village olympique des Jeux de Grenoble ; le lot comprend sept immeubles reconvertis en résidences étudiantes et une cafétéria… aujourd’hui à l’abandon.
Christophe Leray, le 3/04/2024
Le village olympique, une ZAC de promoteurs du XXe siècle
L’architecture, au cœur de toute civilisation, est indubitablement constituée de faits historiques et sa chronique permet donc d’en évoquer l’époque. Les archives du site en témoignent abondamment. En relatant faits, idées et réalisations, Chroniques d’Architecture, entreprise de presse, n’a d’autre ambition que d’écrire en toute indépendance la chronique de son temps. Suivez Chroniques d’architecture !