Ken Akamatsu, l’invité problématique de la Japan Expo
Cette année la Japan expo ne s’est pas passée sans heurts, une cosplayeuse à été bousculée par la sécurité, et évacuée avec d’autres, pour avoir perturbé la conférence avec Ken Akamatsu. Plusieurs personnes se sont opposées à la mise en avant par l’organisation du mangaka, créateur de la série Love Hina, devenu un homme politique affilié au très conservateur & nationaliste Parti libéral-démocrate, qui défend le droit à la pédopornographie au nom de la culture japonaise et de la liberté d’expression.
La Japan Expo existe depuis plus de 20 ans et avec plus 250 000 visiteurs revendiqués est le plus gros événement français pour la bande dessinée. Chaque année plusieurs centaines d’invités et d’exposants sont invités à donner un aperçu de la culture japonaise avec en tête le manga.
Déjà invité d’honneur en 2015, Ken Akamatsu était en 2023 de nouveau invité et mis en avant par les organisateurs de l’événement dans une table ronde « sur l’influence du manga sur la création française » et une seconde « Ken Akamatsu : Le manga, soft power et enjeu international ».
Un créateur dont les œuvres se sont vendues à plus de 50 millions d’exemplaires avec ce double cursus artistique et politique : « Pour nous, son parcours est intéressant. Ses œuvres, à commencer par Love Hina, ont connu un grand succès en France, avec un vrai impact. Le fait qu’il soit devenu politicien, c’est original. Qu’il vienne nous parler de son vécu nous a semblé sympa », explique Thomas Sirdey, co-organisateur et cofondateur de Japan Expo à Philippe Mesmer dans un article du Monde. (source)
Jusque là, rien de problématique, sauf si on connaît les récents engagements de Ken Akamatsu, entré en politique pour lutter contre une proposition de loi portée par le Comité des droits de l’enfant du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme visant à encadrer plus précisément la pédopornographie. Un engagement qui tire ses origines du nationalisme japonais dans un parti politique d’extrême-droite.
Le Parti libéral-démocrate (PLD) est considéré comme le plus à droite des partis japonais dont certains membres sont « affiliés à la ligue parlementaire du Nippon Kaigi, un groupe de pression ultranationaliste et traditionaliste » une organisation qui lutte, entre autres, contre les avancées sociales et la loi de 1999 sur l’égalité des sexes. (source)
Une idée de la liberté d’expression très personnelle.
Pour Ken Akamatsu, la proposition de loi venue des Nations Unies puis une autre de l’Organisation des femmes des Nations unies à propos d’un manga de Kiseki Himura, Tawawa on Monday mettant en scène des histoires où les jeunes filles ont toutes des énormes poitrines est une question très politique : « À l’avenir, nous devons continuer à freiner le flux de “gaiatsu” et les restrictions d’expression au Japon. À cette fin, nous devons d’abord élever la voix et lutter pour empêcher que l’acceptation des restrictions à l’expression ne devienne un fait accompli en répondant faiblement au type de réponse que le gouvernement japonais aura au “gaiatsu” lui-même. » Écrit-il sur son site. (source)
Le mot gaiatsu est un terme japonais qui désigne les pressions étrangères sur un pays. Un terme fort pour expliquer le rejet du mangaka envers la proposition de l’ONU, mais pas uniquement, il précise en parlant de cette proposition de loi —toujours sur son site— que « Si cela se produit, les jeux manga-anime qui m’ont élevé et diverti mourront. »
Love Hina est l’emblème du pantsu (pour « pants », culottes en anglais) un type de comédie du sous-genre harem où un héros masculin est entouré de jolies filles, pour résumer rapidement. Et à la question « Vous avez longtemps officié dans le genre “pantsu”. Qu’est-ce qui vous y a attiré ? » de Jérôme Lachasse dans une interview du Figaro en 2015, l’auteur répondait « Cela vient tout simplement d’une envie des lecteurs et de moi de montrer ce qu’on a envie de voir : des petites culottes. » (source)
En parallèle de ses séries Ken Akamatsu dessine aussi des doujinshi hentai sous le pseudonyme de Betty comme Cu-Little2 pour des parodies collectives de Final Fantasy ou de ses propres oeuvres.
« Lolicon » un cas particulier ?
Certaines de ces images se rapprochent d’un courant appelé Lolicon (« lolita complex ») au Japon, désignant les productions artistiques mettant en scène des personnages féminins jeunes ou non majeurs. Un mot inspiré de Lolita, le roman de Vladimir Nabokov. D’autres termes comme shotacon, pour les jeunes garçons, ou toddlercon pour les enfants plus jeunes s’y associent.
Si les œuvres associées au Lolicon ne relèvent pas forcément de la pédo-pornographie et certains magazines comme Comic LO s’en sont fait une spécialité. Au Japon ces publications jouent sur la frontière entre pornographie et érotisme, suggestion et distance avec la réalité qui permettent cette offre légale.
Sujet très sensible, au point que le gouvernement métropolitain de Tokyo avait promulgué un texte en décembre 2010, limitant les mangas à contenu pornographique dans la capitale. Un texte qui prévoit de limiter la vente et la distribution de manga ou anime aux scènes jugées obscènes comme les viols, incestes ou actes sexuels avec des enfants (jido-poruno)
Rappelons au passage qu’en France, la loi encadre bien la diffusion d’« image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique » aussi, le simple fait de la consulter (en ligne ou non) tombe sous le coup de la loi et ces publications ne sont donc pas traduites ou diffusées.
Tarō Yamada, du Parti libéral-démocrate à héros de manga
Mais Ken Akamatsu va plus loin en rejoignant Tarō Yamada, un ancien membre de la Chambre des conseillers du gouvernement japonais et actuel représentant de l’Association pour la protection de la liberté d’expression lui aussi affilié au Parti libéral-démocrate ; pour s’opposer à ce projet explique sur son site son combat pour la liberté d’expression autour d’une révision de la loi « sur l’interdiction de la pornographie enfantine qui prévoyait d’inclure les mangas, les animations et les œuvres générées par ordinateur qui ressemblent à des enfants sont “similaires à la pornographie enfantine” et stipule de promouvoir la recherche sur la “pornographie enfantine” et les dommages causés aux enfants. » (source)
Dans une série de tweets, Ken Akamatsu se félicite de l’élection de Tarō Yamada et écrit : «Avec un si grand nombre d’électeurs, il sera possible de freiner le mouvement des partis au pouvoir et de l’opposition pour “réguler l’animation manga” à l’avenir. Cependant, j’ai peur des pressions extérieures. Je pense également que des questions difficiles telles que l’utilisation équitable seront soulevées, il semble donc nécessaire de poursuivre des discussions approfondies à l’avenir. » (source)
Plus étrange, Ken Akamatsu a dessiné un manga où Tarō Yamada et lui sont dessinés en héros armés défendant une jeune femme incarnant le manga & les animes contre l’assaut d’un ennemi représentant la morale étrangère. (manga à lire ici)
Le personnage de Ken Akamatsu combat à coup d’attaques spéciales : « Affirmative Action », « White Veil of Ignorance » et « Supererogation », des termes plutôt liés à la droite libérale et en opposition à la discrimination positive et la prise de conscience des inégalités raciales et/ou de genre. Des idées plus proches du Parti libéral-démocrate que de la simple liberté d’expression.
Un mangaka « attendu » à la Japan Expo 2023
À la lumière de ces informations, des habitué.e.s de la Japan Expo se sont exprimés sur les réseaux sociaux depuis l’annonce officielle quant à la venue de Ken Akamatsu à la Japan Expo 2023. Sur twitter, une action de tractage s’est même organisée pour dénoncer cette invitation.(source)
Une cosplayeuse habituée de la Japan Expo explique avoir prévu de huer le mangaka, mais le service de sécurité la repère, elle témoigne sur twitter : « Gilet bleu se tourne vers moi. Me dit “c’est bon, dégagez maintenant.” Je suis tellement hors de moi, de ce dispositif absurde, de ce que se mec se permet, que je hurle “PEDOPHILE” a plein poumon. Il fait un petit signe à la secu, deux gorilles m’entourent, je dois les suivre. »
Ce sera loin de la scène que les choses deviennent graves : « Je m’exécute dans le calme. On a fait la moitié du hall et ils refusent de me dire où ils m’emmènent, alors je me laisse tomber a terre. Là ils commencent à me gueuler dessus et a me traîner au sol, clé de bras, la totale. » (source)
Un autre visiteur témoigne de la scène sur twitter « J’ai halluciné à la Japan Expo : on était assis, tranquillement. On se rend compte que ça va être le panel avec le mangaka de Love Hina et lorsque ça débute, on se lève parce qu’on ne le cautionne pas. Une personne était derrière et crie contre le mangaka et le hue.
On s’éloigne et on va faire un tour dans les stands et là on voit la personne qui a hué le mangaka se faire traîner violemment par un gars de la sécurité de la Japan Expo, limite à lui faire du mal ? C’est inadmissible. J’étais tellement choqué que j’ai freeze… »(source) et précise « C’était un homme de la sécurité (peut-être un garde du corps) et non pas du staff bénévole de la Japan Expo pour précision, la personne du staff Japan Exp était plus calme, et heureusement. » (source)
Dans son témoignage, elle explique que : « 3 visiteurs se sont interposés au total. L’un d’eux était un exposant. On a pas eu de ses nouvelles pendant TROIS HEURES. Ils l’avaient “accompagné” jusqu’au quai du RER, forcé a monter. Ils n’avait ni ses affaires ni son portable, rien. Heureusement il a fini par rentrer » (source)
De leur côté les organisateurs de la Japan Expo n’ont pas communiqués sur cet incident, mais pendant cette conférence « Ken Akamatsu : Le manga, soft power et enjeu international » le mangaka à fait une déclaration « à propos de la représentations des filles et l’hypersexualisation des jeunes enfants dans les mangas. Le Japon est un des pays où y a le moins de crimes sexuels, donc on peut dire que les mangas ou animés n’ont pas d’incidents sur ces comportements et crimes. Plutôt que de limiter la création d’œuvres fictives il vaut mieux voir les moyens de protection des victimes de ces crimes dans la réalité» (source)
L’argument avancé par Ken Akamatsu paraît un peu gros dans un pays qui a modifié en 2023 seulement « sa définition du viol et relevé vendredi l’âge du consentement à 16 ans, alors qu’il n’était que de 13 ans,’ et ‘définit le viol comme un ‘rapport sexuel non consensuel’ et supprime une exigence antérieure selon laquelle le crime incluait la force physique. Jusqu’à présent, les lois japonaises sur les agressions sexuelles ne mentionnaient pas le consentement, reflétant le scepticisme quant au fait que n’importe qui pouvait être contraint à des relations sexuelles sans violence.» (source)
L’auteur ne parle pas de la prostitution de lycéennes devenue un « phénomène» : « Le fantasme des lycéennes est tel qu’il a généré ces dernières années le ‘JK Business’, autrement dit, le commerce des lycéennes : dans la version ‘gentille’, il s’agit juste de discuter ou jouer à des jeux de société idiots autour d’une table pour distraire ces messieurs, ou encore de se promener ou de s’allonger côte à côte, sans plus. Dans la version ‘dure’, cela va évidemment jusqu’à la relation sexuelle.» (source)
Ni des panneaux en prévention des chikan : « attouchement non consenti sur un autre individu dans un contexte sexuel et pervers où l’usage des mains est habituel» ou des wagons dédiés aux femmes. Une enquête de Bernard Delattre parle même de «la saison de la chasse aux jeunes filles» (source)
Ce ne sont que quelques exemples, mais cette déclaration mise en avant par le compte Gaak appuie sur cette problématique et rappelle la portée très politique et pas du tout anodine d’un invité comme Ken Akamatsu qui utilise son statut de star du manga pour diffuser ses idées sur une scène nationale.
Illustration principale : ©photo de Isaac Taylor sur Pexel
Thomas Mourier le 4/09/2023
Ken Akamatsu, l’invité problématique de la Japan Expo