Une rencontre d’artistes dans le couloir de la mort
Perpendiculaire, l’un des albums les plus singuliers et passionnants de cette année, a été écrit à deux, mais signé d’un seul nom. On y découvre l’émouvante correspondance entre la jeune artiste Valentine Cuny-Le Callet et un artiste prisonnier du couloir de la mort aux USA, Renaldo McGirth.
Ce livre de 400 pages est un témoignage puissant, celui d’une amitié, d’une rencontre artistique et d’un humanisme qui traverse les frontières et les préjugés. Il renferme six ans de correspondance entre la France et la Floride où elle, depuis la maison de ses parents et lui, depuis sa cellule de 5 mètres carrés se racontent le monde, les soucis du quotidien et leur passion pour l’art.
Valentine, 26 ans, et Renaldo, 34 ans, correspondent depuis plus de six ans et mêlent à leurs lettres, dessins, peintures et images. Ils dessinent, ils échangent sur des sujets communs, ils s’envoient des lettres qui prennent un sens particulier quand Valentine Cuny-Le Callet décide d’y joindre ses propres recherches sur la peine de mort, la lutte pour les droits civiques ou les conditions d’incarcération.
Nous avons entre les mains le fruit de ces réflexions, agrémenté d’un travail très graphique & technique au crayon, en gravure ou à la gouache de la part des deux auteurs. Une manière de contourner l’interdit de l’univers carcéral qui empêche de voir ce qui se passe derrière ses murs.
Une rencontre singulière
À 19 ans, Valentine Cuny-Le Callet s’inscrit à un programme de correspondance auprès de l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) qui lui propose une adresse et un nom de prisonnier avec qui échanger. Elle démarre un échange avec Renaldo McGirth, qui a lui 28 ans, et qui est incarcéré dans le couloir de la mort, dans une prison de Floride.
Sans chercher à savoir pourquoi il est là, ni l’objet de sa condamnation, l’autrice va commencer à échanger avec lui, et découvrir que, comme elle, il est passionné par l’art. Ensemble, ils écrivent et dessinent. Elle n’a pas googlé son nom, elle décide de commencer « à armes égales, chacun de son côté, avec seulement un nom ».
Elle démarre cette conversation, sans avoir envie de connaître son crime, de spéculer sur sa culpabilité ou son innocence, elle commence après les attentats du 13 novembre 2015 en France, où le débat autour de la peine de mort revient dans l’espace médiatique. Elle a la conviction que « a peine de mort ne devrait exister sous aucun prétexte. »
Dans sa première lettre, Renaldo explique qu’il est condamné à mort depuis l’âge de 20 ans, et qu’il veut prouver son innocence. Valentine se renseigne sur le meurtre dont il est accusé et sur ses conditions d’arrestation et les procédures en cours.
En surimpression de ses lettres, elle grave des mains, des corps, des aigles…
En 2017, l’autrice est aux états unis, à Chicago grâce à une bourse, et obtient une première visite pour rencontrer son correspondant en prison. De cette rencontre naîtra l’idée du livre.
Un livre peut en cacher un autre
Perpendiculaire au soleil est le prolongement graphique d’un premier livre, Le monde dans 5m2 en 2020 chez Stock, où Valentine Cuny-Le Callet avait raconté cette histoire sous forme textuelle, ajoutant déjà des reproductions de lettres et documents.
Dans Perpendiculaire au soleil, on peut voir cette cellule de 5m2, dans un dessin extrêmement précis de Renaldo qui la dessine vue de l’extérieur. Car ce livre est l’œuvre des deux auteurs même si les lois françaises et américaines ne permettent pas de le signer : « Aux États-Unis — comme en France — la loi empêche une personne condamnée de tirer un profit financier du récit de son crime. Cette loi est parfois invoquée pour interdire aux condamnés la publication d’écrits autobiographiques, voire fictionnels. »
En parallèle de ces lettres et de leurs rencontres mises en images, Valentine Cuny-Le Callet ajoute ses propres recherches. Elle retranscrit ses notes et réflexions sur la peine de mort, mais aussi sur les conditions d’incarcération de Renaldo, sur ses droits ou la justice américaine. On y trouve aussi ses recherches sur le racisme et la représentation des Afro-Américains ou encore la représentation des victimes ou des personnes condamnées.
Pour composer ce livre et mettre en évidence ces recherches en complément de cet échange épistolaire, Valentine Cuny-Le Callet utilise plusieurs techniques. Des planches aux crayons gras pour retranscrire la réalité et des gravures sur lino ou sur bois pour les scènes de souvenirs et de rêves, ainsi que pour illustrer les correspondances. Une rupture bienvenue pour comprendre cet univers complexe.
À cela s’ajoute une 30e de dessin de Renaldo, en plus de ses lettres, lui travaille au crayon et au stylo bic avec quelques gouaches — seuls éléments en couleur de l’album.
Au-delà de la censure
On apprend dans cet album toutes les règles qui conditionnent l’accès au monde des prisonniers. Renaldo est enfermé depuis presque 15 ans et a vécu toute sa vie d’adulte dans cette cellule qu’il occupe 23h sur 24h. Un univers limité, entre quatre murs, où toutes ces affaires doivent tenir dans une cantine en métal. Où son univers intime et artistique constitue l’une de ses seules fenêtres vers l’extérieur avec les correspondances qu’il entretient.
Valentine lui écrit, dessine de la végétation dans toutes ses lettres —la prison en est totalement dépourvue—, elle glisse des motifs récurrents, mains, aigles ou serpents. Ses lettres sont censurées par l’administration pénitentiaire, elle ruse avec des découpages, des tampons. Pour construire cet album, elle lui envoie des planches avec certaines parties découpées. Des images conditionnées par l’univers de la prison, qui poussent les deux artistes à redoubler d’imagination pour échanger.
Renaldo attend dans ce couloir de la mort depuis l’âge de 20 ans, mais il y a 6 ans, sa peine est déclarée anticonstitutionnelle. Il espère une nouvelle sentence qui pourra transformer sa peine en prison. Soulignons aussi que ce livre ne cherche pas à commenter la culpabilité ou l’innocence de Renaldo McGirth, le livre propose un témoignage sincère de la rencontre entre ces deux personnes, de la joie de partager une amitié même si plusieurs mondes les séparent, de l’engagement humaniste pour donner des clefs de compréhension autour de cette peine de mort qui existe et dont ont méconnais les effets réels en France.
Un récit très dense, franc et équilibré pour aborder cette question en filigrane de cette belle histoire d’amitié. Perpendiculaire au soleil est une expérience rare à ne pas laisser passer parmi les sorties de cette année.
Thomas Mourier, le 26/09/2022
Valentine Cuny-Le Callet - Perpendiculaire au soleil - Delcourt
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