Evariste et Imperial Quartet, les indiens métropolitains

A la question de savoir si nous sommes tous devenus des indiens (métropolitains?), notre sélection musicale vous affirme qu’il est parfois bon de se sentir dans de tels états. Fleuron de la chanson engagée de 68, Evariste le matheux refait une tour de piste avec une super compile quand le jazz cuivré d’Imperial Quartet sonne du moment. Frais et dispo ( prêt à jeter des pavés ? ) Ou bien… 

Il reste quelques exemples de chanson engagée de Mai 68 : une compilation situationniste, les chansons de Dominique Grange, de Colette Magny et celles qui ressortent ici chez Born Bad d’Evariste, titrées Il ne pense qu’à ça.

De son vrai nom Joël Sternheimer, Evariste est un surdoué de Princeton qui a travaillé pour l’Institute for Advanced Study d’Openheimer, le père de la bombe atomique, avant de découvrir la guitare et de sécher les colles. Sans doute galvanisé par le mouvement et la musique hippie, Joël se plante dans Washington Square, se disant qu’après tout, Bob Dylan lui-même a débuté là-bas. Il sèche allègrement Oppenheimer et reçoit un accueil chaleureux (quoi qu’étonné) de la part d’une foule qui ne pipe pas un mot de Français. Un jour que le vieux physicien vient l’interroger sur ses absences répétées, il explique à son professeur à quel point la musique l’attire, mais surtout qu’il y voit un moyen de se faire un peu d’argent pour financer ses recherches de manière autonome. Évariste confie avoir vu cet homme malade, au visage ravagé par le remord d’Hiroshima, s’éclairer à ses propos et s’écrier « Oh ! Mais allez-y enfin, foncez ! Si j’étais jeune, c’est absolument ce que je ferais. » L’étudiant reçoit ces mots comme un testament. Des mots qui achèvent de le convaincre. Il sautera le pas lors des vacances de Noël à Paris.

 
 

Il est ensuite engagé par Lucien Morisse à la fois boss des disques AZ et patron d’antenne d’Europe 1 qui va l’aider pour ses premiers titres ( Le calcul intégral, Wo I Nee, La Chasse Au Boson Intermédiaire” qui cartonnent. Jusq’en Mai où les nouveaux titres engagés de son poulain vont le faire agir différemment avec un soutien indirect pour le pressage des disques et du temps de studio et des musiciens qui attendront les ventes pour se faire payer. A La Sorbonne, il va croiser Renaud qui tapera le texte de “La Révolution” et Wolinski qui en fera la pochette pour ne vendre de la main à la main pas moins de 25 000.

N’ayant pas oublié qu’il doit financer son labo de recherche, il va s’engager avec Wolinski pour “ Je ne veux pas mourir idiot “ et Claude Confortès pour Il ne pense qu’à ça et financer ainsi ses recherches.

Gardant en tête les encouragements d’Oppenheimer, il peut désormais poursuivre ses recherches en toute indépendance, grâce aux recettes de ses disques. Joël réalise en effet qu’en décodant les séquences des protéines, on découvre des séquences musicales reconnaissables par l’homme. Il les dénomme protéodies. Si l’homme, à l’écoute d’une protéodie, y est sensible au point de la trouver belle, cela signifie qu’il est en carence de la protéine correspondante. Cette musique très singulière pourrait alors le soigner. On peut retracer l’histoire de la musique à la lumière des protéines en déficit chez tel ou tel artiste, ou sur une majorité du public. Vous avez toujours cru que les groupies hystériques, qui jettent leurs culottes avec passion et s’évanouissent dans la fosse, étaient apparues subitement parce qu’on avait jamais rien vu d’aussi beau que les Beatles ? Faux ! Pour Évariste, tout est affaire d’intro protéinée. Le début de leur premier tube «Love Me Do» correspond à la dopamine, soit le neurotransmetteur qui pousse à l’achat compulsif. Une intro pareille ne pouvait que déchainer les chignons des groupies, victimes de la mode et de la biologie. Il a si bien vendu que ses revenus de musicien lui apportent longtemps l’autonomie financière à laquelle il aspirait déjà quand il se confiait à Oppenheimer. Le scientifique a pu ainsi exercer ses recherches sans aucune contrainte institutionnelle. Il se consacre désormais à ses protéodies, installé dans les bureaux de l’Université Européenne de la Recherche, qui siège à deux pas de la Sorbonne qu’il a si bien connue. Évariste n’est plus. Joël a repris le contrôle de cette bête étrange et drolatique.     

D’un voyage impossible vers les profondeurs musicales de la Louisiane, l’Impérial Quartet revient avec sa science renouvelée de la bande originale. Ce quatrième opus lumineux s’intitule « All Indians ? » et il approfondit un peu plus le sillon déjà tentaculaire de ce quartet hors-norme. En creux, cette quadrature de scène pose la question de la créolisation des identités. En partant de cette terre mythique du grand Sud des Etats-Unis... pour l’offrir à l’universel des oreilles ouvertes aux quatre vents !

Ce nouvel album est une odyssée. L’Impérial Quartet ne s’interdit rien, et c’est toujours à cela qu’on le reconnaît... Ces musiciens-compositeurs-improvisateurs plongent avec générosité dans un flot musical bouillonnant où se baignent les communautés de Louisiane. Ils créent leur propre courant en se mêlant aux énergies afro- américaines, amérindiennes et acadiennes...

Ouvert par une « Procession » qui rend un hommage vibrant aux multiples défilés et parades de la Nouvelle-Orléans, des Jazz Funerals aux célébrations vitales des Second Lines, le mouvement se poursuit avec des allers et retours dans les musiques populaires. Les essences mêlées de musiques afro-américaines et cajuns, l’héritage incroyable des Black Indians... On aimerait qu’une créolisation aussi intense, riche et virtuose puisse tenir dans l’immense étiquette du jazz, mais cela serait sûrement réducteur.

Il fallait quatre musiciens-azimuts pour tenir le choc culturel. Antonin Leymarie semble contenir dans ses fûts toute la puissance rythmique et les nuances du melting-pot musical afro-américain. Joachim Florent continue d’explorer les subtilités de sa contrebasse pour parfaire une architecture complexe... mais terriblement accueillante pour la paire de soufflants Damien Sabatier et Gérald Chevillon, noyau symbiotique qui porte l’énergie d’un brass band de haute volée.

L’été est presque là, suffit de suivre le vent. On peut choisir le souvenir des rues de Paris et de la vie/fête d’alors ou se laisser porter aux confins de la Louisiane et retour. C’est vous qui voy(ag)ez !

Jean-Pierre Simard le 14/06/2022
Evariste- Il ne pense qu’à ça 1967/1970- Born Bad Records      
Impérial Quartet - All Indians ? - Compagnie Imérial/ InOuïe distribution