L'épatant Bronco country-queer d'Orville Peck tire le genre vers 2022

Avec son Dead of Night inclus dans la BO de la dernière saison de la série queer Euphoria, Orville Peck lance son Bronco de dernier album sur les terres country pour faire évoluer le genre en en actualisant tous les registres du plus ringard au plus actuel… Serait-il le Chris Isaac de sa génération, quand le hardcore, dont il est issu, s’avérait crypto-gay dans les 80’s ? Matière à réflexion et matière à malaxer. Malaxons… 

Avec son identité cachée derrière un masque de gimpe à glands, se tenant sur la couverture de son deuxième album dans un gilet d'or devant un étalon massif et cabré, il serait aisé de comprendre pourquoi Orville Peck est un provocateur, venu pour mettre à mal le monde de la country - l'un des genres musicaux les plus conservateurs. Clair, qu'après Lil Nas X et Old Town Road devenu l'un des plus grands titres de tous les temps, son fier destrier en suive les traces à brise abattue.

En écoutant la musique de Peck, il est clair qu'il ne se contente pas de jouer à un jeu. Il a, bien sûr des hymnes enjoués à la Garth Brooks, mais on y trouve aussi beaucoup de moments où la gaieté et la solitude se glissent dans ses paroles, tandis que sa musique prend un ton obsédant et mélancolique. Comme si un duo avec Shania Twain ne suffisait pas, l'apparition de son remuant "Dead of Night" dans la dernière sensation de HBO, Euphoria, semble destinée à attirer l'attention sur la musique de Peck, et ce au bon moment. Après la période Trump, le mandat Biden ouvre pas mal de portes aux genres. Autre temps, autres mœurs - à l’air libre… 

Bronco double presque la durée de sa production enregistrée à ce jour, et il en profite pour mettre en valeur tous les aspects de sa musique, de l'obsédant au carrément ringard. Cela en dit long sur l'état de la musique country à l'ère de Florida Georgia Line que cet homme masqué dégage facilement plus de personnalité que 90% des stars modernes de la country. Il le fait, en se délectant sans vergogne des tendances les plus ridicules et les plus campagnardes de la country hors-la-loi, remplie d'auteurs-compositeurs au cœur brisé qui se prenaient terriblement au sérieux. On disait actualisation avec mise en avant pour la beauté et second degrés dans le rendu. Nom d’une pipe, un appel d’air !

La première chanson "Daytona Sand", se termine par un chant "M, I, double S, I, double S, I, double P, I !", à la Bobbie Gentry, et l'album est rempli de tambours et de claquements de mains. L'album comporte également de nombreuses lignes où Peck - ce Canadien - se moque gentiment de sa propre obsession pour l'Americana, comme le moment où il est dans un bar, parlant à une femme et "elle me dit qu'elle n'aime pas Elvis / Je dis, "Je veux un peu moins de conversation, s'il vous plaît". Et le fantôme de Monty Clift de se resservir un double bourbon… sec !

Parfois, il enfonce simplement le clou, comme sur "Lafayette" :"Je me souviens de quelqu'un qui a dit qu'il n'y avait plus de cow-boys / eh bien, ils ne m'ont pas rencontré", et quelques chansons sont presque indiscernables du genre de balloche que vous entendriez 24/24 h sur les stations de radio de l'Alabama en semaine. Mais ces moments de clichetons occasionnels sont résolument contrebalancés par des morceaux comme "The Curse of the Blackened Eye", une histoire de relation abusive où Peck raconte que "j'étais assis l'année dernière en souhaitant tellement de fois que je meure". Le refrain lui permet d'émettre un falsetto qui montre toute l'étendue de sa voix, qui se fissure aux bons endroits, capturant la même énergie onirique qui a fait de "Dead of Night" la bande-son parfaite pour les rendez-vous nocturnes d'Euphoria. Au moment de l’émoi, quand ça se brise, l’émotion fait foi.

Le groupe de Peck sur ce disque est composé du groupe indé canadien The Frigs. Malgré leurs fixettes habituelles, ils font un travail magistral en recréant le son des années glorieuses de la country, en fournissant le cadre parfait pour que Peck s'écarte des stéréotypes usuels de ces chansons. Les banjos et la guitare slide de "Hexie Mountains" sont prêts pour la route, et "C'Mon Baby, Cry" ressemble à un classique instantané, demandant de la vulnérabilité et ramenant Roy Orbison à la vie. Avec un son qui pioche entre rock , bluegrass, psyché et country, - son qui a fait ses preuves - , mais avec la perspective rafraichie/actualisée de Peck, cela suggère que les paillettes et le camp sont en fait l’image du queer Peck, juste fidèle à lui-même qui a réussi à imposer son style en lui construisant une identité propre. On ajoute que le beau gosse agissant sur les mêmes terrains que … Chris Isaac , ses actuelles comptines encore un peu elliptiques (l’Amérique monsieur… ) vont lui ramener le même public amateur de rock, mais qui se moque des chapelles. On le lui souhaite même plus large, sans forcer. Larvatus prodeo - strictement. Très bel album affichant des sentiments et un rendu devenu clair dans la délivrance. Pour l’histoire, personne n’a oublié John Voight, le Midnight Cowboy, et c’est comme si Peck en jouait une nouvelle partition revue 2.2 K.

Lisez donc (en anglais ) la passionnante interview réalisée par Under the Radar ici

Jean-Pierre Simard le 11/04/2022
Orville Peck - Bronco - Columbia