Steven Parrino et son œuvre graphique post-mortem

Steven Parrino (New York, 1958-2005) disait « aborder l’histoire de la même manière que le Dr Frankenstein aborde les parties du corps, comme une Nature Morte ».

Steven Parrino, Jerk, ca. 2020 48 × 48 cm © The Parrino Family Estate. Photo Fabrice Gousset, courtesy Loevenbruck, Paris

Il est connu pour les tableaux abstraits qu’il réalise dès les années 1980. Son travail, interrompu par un accident de moto mortel, en 2005, a fait l’objet de vastes expositions personnelles et institutionnelles au musée d’Art moderne et contemporain — Mamco, à Genève (2006), au Palais de Tokyo, à Paris (2007), ou plus récemment au Kuntsmeuseum Liechtenstein (2020). Son œuvre graphique détient les clés d’un rapport particulier à l’image. En pleine rhétorique d’une mort de la peinture, Steven Parrino reprend le monochrome moderne pour l’éprouver, le dégrafer, le froisser, le lacérer.

Steven Parrino, The Post Atom Bomb… Post Abstract Expressionnist… , 2003 © Steven Parrino, The Parrino Family Estate, photo Fabrice Gousset, Courtesy Loevenbruck, Paris, tous droits réservés

Les dessins exposés ici embrassent diverses références culturelles issues de l’histoire de l’art et confrontées à l’underground : Land Art, le groupe de musique Black Flag ou encore la bande dessinée, le cinéma de série B. L’aplat monochrome est tour à tour associé à la mort, au drapeau noir, au moiré, à une croix inca ou encore à l’expressionnisme abstrait. Ces agencements de références sont ceux d’un artiste marqué par la fin des récits modernes et par l’hypermédiatisation du monde. Tout juste diplômé de la Parsons School of Design, Steven Parrino participe à l’exposition inaugurale de Nature Morte, espace d’artistes où il côtoie Peter Nagy, Alan Belcher et Joel Otterson, trois figures du mouvement appropriationniste. Nature Morte est associé à l’exposition itinérante « Infotainment » (1985). Affublée d’un néologisme alors récent qui désigne l’info-divertissement, la manifestation regroupe les artistes précédemment cités mais aussi la Pictures Generation (Sarah Charlesworth) et quelques Neogeo (Peter Halley), une génération pour qui — à la suite d’Andy Warhol — il convient d’interroger l’image médiatique et la façon dont elle conditionne le rapport au réel.

Steven Parrino, Murder, 2002 Courtesy Loevenbruck, Paris © Steven Parrino, The Parrino Family Estate, tous droits réservés

En 2003, Parrino emprunte à Warhol le titre de l’exposition « Death in America », qui, en 1963, présentait pêle-mêle des photos de presse d’accidents de voitures, d’affaire de contamination alimentaire et une chaise électrique. Dans sa version de la Mort en Amérique, Parrino peint une série de toiles froissées, argentées comme des silver balloons, qui oscillent entre le charme d’un drapé et l’horreur d’une tôle froissée. Il affectionnait particulièrement le Warhol des séries « Death and Disaster ». Avec la répétition obscène de motifs, un accident de voiture mortel ou un manifestant molesté par un chien, Warhol rompt avec l’industrie du glamour pour explorer les images de l’horreur en Amérique. C’est aussi dans ces séries que l’on retrouve des diptyques juxtaposant avec tension une image répétée et un monochrome. Si Steven Parrino privilégie le papier-calque, c’est qu’il affectionne la froideur, celle de l’épiderme comme celle de la technique du report qu’il permet. Dans une manière warholienne, il confronte monochrome froid et reproduction d’image.

À l’instar du caviardage, l’œuvre abstrait de Steven Parrino, dessiné ou peint, est silencieux, mais son iconoclasme brutal est indexé sur la violence d’une société hypermédiatique.

Julien Fronsacq, Genève, janvier 2022
Steven Parrino - l’œuvre graphique (1989-2004)
Galerie Loevenbruck 6, rue Jacques Callot 75006 Paris

Steven Parrino - White Shark, 2003 Pencil and lacquer on tracing paper 18 7/8 × 26 in Private collection, Paris