Quand Paul Cupido dirige une symphonie d'images

À travers ses compositions d'images lyriques, Paul Cupido envisage la photographie en noir et blanc comme un langage profondément personnel et émotif pour explorer les infinies possibilités de notre environnement naturel.

Volcano, 2022 © Paul Cupido

Ou peut-être les deux. Dans le cas de Paul Cupido, les deux se rencontrent et se mêlent parfois. L'artiste néerlandais connaît son métier, chacune de ses superbes impressions étant façonnée par des couches de soin et de considération et par une sensibilité au matériau issue d'années d'exploration. Il se consacre également à l'inconnu, à la beauté de l'imprécision et à la philosophie japonaise du "Mu", un état de vacuité, de vide et donc de possibilités infinies. Grâce à ses interactions engagées et expérimentales avec son art, il a réimaginé le support noir et blanc en un langage personnel et fluide qui peut parler d'être dans les profondeurs de l'instant plutôt que de capturer sa surface de manière "décisive".

Mu #6, 2022 © Paul Cupido

Le parcours de Cupido dans la photographie a connu de nombreux rebondissements. Il est venu à cette forme d'art après avoir décidé de mettre fin à une carrière réussie de compositeur sonore, l'amour initial qu'il ressentait pour ce médium ayant été progressivement érodé par la vitesse et les exigences de l'industrie. Un jour, il a eu le sentiment d'être "dans le moment présent" alors qu'il se trouvait dans la forêt, un appareil photo à la main, ce qui l'a poussé à faire ses premiers pas dans la photographie. La plus grande bifurcation dans le chemin a été une période passée à Tokyo sous le mentorat d'Antoine d'Agata.

Dévoué à l'éthique qui consiste à "faire du photographe un autre photographe", d'Agata a balayé le travail de studio précis et hautement mis en scène que Cupido avait réalisé à l'école de photo d'Amsterdam et l'a envoyé dans le paysage inconnu de la nuit. Une fois ces images "vides" éliminées, il ne restait plus qu'une seule photo du passé - un instantané, pris rapidement mais plein d'émotion ; un portrait énigmatique de Joyce, la mère du fils du photographe, regardant la mer, dos à l'appareil, le corps orné de taches de lumière en forme d'étoiles.

Suave, 2016 © Paul Cupido

Ce voyage a été un choc, un exercice de lâcher prise qui a marqué le début de ce que Cupido décrit comme un "pèlerinage". Au cours de multiples voyages, il a visité le Japon pour en apprendre davantage sur la culture, la philosophie et l'esthétique qui allaient nourrir son approche de la photographie. Fasciné par le mode traditionnel de création d'images en deux dimensions, il s'est rendu dans différents ateliers pour apprendre une variété de techniques allant de la gravure sur bois et de la gravure photographique à la fabrication du papier, tout en étudiant la photographie à Tokyo. Au cours de ces voyages, il s'efforçait également de cultiver une relation entre ses émotions internes et le monde naturel extérieur.

Hanabi, 2022 © Paul Cupido

Les lunes, les montagnes, les feuilles, les nuages, l'eau - et le corps humain en relation avec la nature qui l'entoure - font surface dans ses images calmes. Les cycles de la vie et les rythmes de la nature qui régissent la pratique de Cupido sont ancrés dans son passé autant que dans les voyages qui ont façonné sa vie d'adulte. Le photographe est né à Terschelling, une île du nord des Pays-Bas, et il a grandi avec le flux et le reflux de la mer visible depuis sa chambre d'enfant. Cet acte inné d'écoute de son environnement est aujourd'hui au cœur de son processus photographique, qui consiste à se défaire progressivement de la pensée et à travailler à partir de l'intuition.

Stay With Me, 2022 © Paul Cupido

Tout commence toujours par la mise en contact de cette démarche avec un lieu spécifique qui sera source d'inspiration, riche en métaphores potentielles et en moments éphémères. "Ce qui est intéressant avec l'éphémère, c'est que bien qu'il s'agisse d'un moment fugace, il a un effet durable", songe Cupido. "Tomber amoureux est temporaire, mais cela restera dans votre corps pour toujours. Une vague laisse une trace dans le sable ou dans la pierre, puis s'en va, mais la marque reste là même si elle est balayée par la vague suivante. Une déchirure microscopique gravée dans le temps."

La manière dont Cupido collecte et traite ensuite ces moments est ludique et hybride, dardant entre différents appareils photo, imprimant du numérique en utilisant des procédés analogiques et vice versa. "Techniquement, les images que j'ai prises ne sont pas très bonnes mais je m'en moque tant qu'il y a de l'émotion", dit-il de sa démarche. C'est au cours de la deuxième étape du voyage dans l'atelier qu'elles se transfigurent, lorsqu'il réintègre les images qu'il a prises par un processus d'impression très précis, les contemple et finit par les faire dialoguer entre elles.

Blue Gold, 2021 © Paul Cupido

Exploitant le mouvement et la profondeur que l'on peut trouver dans le noir et blanc, les images de Cupido bouillonnent de possibilités infinies. Il n'est pas difficile de déceler un mode de pensée musical dans ses compositions lyriques d'images, qu'elles se retrouvent dans des espaces d'exposition ou des livres de photos. À partir du langage dépouillé du monochrome, il crée des sentiments et des sensations par le biais de différentes tonalités, en ajoutant parfois une légère touche de couleur pour donner une teinte subtile à l'impression. Ailleurs, le geste est plus audacieux, comme lorsqu'il imprime du noir et blanc sur un papier de couleur vive pour injecter un staccato vif dans le mélange. Lorsqu'elles sont composées en une séquence, le résultat est symphonique ; selon les propres termes du photographe, les images deviennent des "notes", ses petits tirages délicats ponctués de temps à autre par un grand tirage, s'assemblant en harmonie.

From the project “4 a.m” © Paul Cupido

Pour Cupido, la forme, la structure et le contenu de ces compositions proviennent de l'écoute de "ce que les œuvres veulent être". Son livre Searching for Mu, réalisé au début de sa pratique, invite les lecteurs à une quête décousue à travers le temps passé par le photographe au Japon, un voyage loin de son environnement familier se déroulant entre ses pages. Compilé pendant les lockdowns de 2020, le livre 4 a.m. représente un autre moment de la vie du photographe tissant ses expériences au Japon plus près de chez lui, séquencé autour d'un geste répétitif de marche et de travail avant l'aube.

Traitant 4 heures du matin comme un lieu dans le temps qui s'étend à travers différents espaces, la séquence d'images est née d'un poème de Matsuo Bashō, un haïku qui, selon les mots de Cupido, "vous fait penser pour toujours." Situé dans l'espace liminal de la fin de la nuit/du début du matin, le livre nous emmène sur des chemins sinueux éclairés par la lune, des paysages calmes et monochromes ponctués par un éparpillement de chocs de couleurs oniriques.

"La lune m'a réveillé neuf fois - toujours à 4 heures du matin".

Matsuo Bashō

Visu du livre “4 a.m.” © Paul Cupido

Dans sa dernière exposition Remembering You, une feuille de ginkgo envoyée par un ami du Japon aux Pays-Bas par la poste devient la graine d'un nouveau rituel tournant autour de la mémoire, de la perte et de la présence. Une série topographique de feuilles de ginkgo, dont il a photographié plus de 200, chacune étant prise comme un acte de souvenir en pensant à un ami différent, se trouve au milieu d'une sélection d'instants fugaces tirés de ses archives, commémorés par des tirages délicats ; des figures immergées dans des paysages, des visages fusionnant avec des plantes - et une fois encore la lune. Cette symphonie particulière d'images est complexe, texturée avec des moments de mélancolie, de calme et de splendeur infinie.

Incarnatie, 2022 © Paul Cupido

Paul Cupido a obtenu son diplôme avec mention à la Fotoacademie d'Amsterdam en 2017. Il a depuis publié une poignée de livres, notamment les publications d'artistes Searching for Mu (2017) en auto-édition et Continuum (2019) en collaboration avec la graphiste Akiko Wakabayashi, auto-édition rerpise par Edition Bildhalle. Le travail de Cupido a été largement exposé à l'échelle internationale. En 2017, il a remporté le prix du jury Hariban. Cupido est représenté par la galerie Bildhalle (Zurich, CH) et la galerie Danziger (New York, USA). En savoir plus le photographe néerlandais ici et

Solandes, 2018 © Paul Cupido

Si je pouvais mettre « flux de cheminement» dans un livre photo, ce serait un idéal. Vous vous oubliez après avoir plongé dans quelques couches d’images éphémères, vous vous enthousiasmez à la découverte des images cachées (la perforation peut être déchirée et vous obtenez votre propre séquence), vous construisez les couches de narration, vous êtes fasciné par les textures des papiers et leurs couleurs, techniques d’impression (qui sont ici 6). Vous êtes constamment surpris : que se passera-t-il ensuite ? Et la surprise ne vous laisse jamais tomber – c’est inattendu, et pourtant, d’une certaine manière, si naturel qu’il se sent juste. Il coule. Les images alternent, l’univers tourne. On se réveille sur la dernière page comme si on venait de faire un rêve. C’est définitivement une expérience. C’est un bel exemple de la façon dont une variété d’images, de papiers et de techniques d’impression très différents pourraient coexister et créer un espace cohérent et harmonieux. Amour.

Paul Cupido, avant-propos de Continuum

From the project "4 a.m" © Paul Cupido

Quand Paul Cupido dirige une symphonie d’images
Nathalie Wright éditée par la rédaction le 5/12/2022

September, 2022 © Paul Cupido