Partir (pour mieux revenir) sur les chemins de Compostelle

Deux mois de voyages, plus de 1000 km à pied pour partir en quête de soi-même et se sevrer des réseaux et du trop-plein d’activité, voici le voyage passionnant de Lili Sohn raconté sous forme d’un riche carnet de voyage.

Depuis le début de sa carrière d’autrice, Lili Sohn écrit ses livres comme des partages d’expériences. Chaque album questionnant une thématique ou un moment clef de son parcours entre autobiographie, guide pratique et album humoristique. De La Guerre des Tétons, entre son combat contre le cancer du sein et son envie que son livre puisse aider à la prévention ; à Mamas sur sa découverte de la maternité sans oublier les injonctions, pressions faites aux mamans, aux futures mamans et à ce fameux instinct maternel ; en passant par Vagin Tonic qui interroge la place des corps féminins, l’imaginaire associé et leur traitement dans notre société.

Dans Partir, elle ouvre une nouvelle piste dans sa carrière avec un livre plus graphique où elle interroge plusieurs sujets à travers une quête très personnelle. L’autrice raconte sur plus de 300 pages son périple sur les chemins de Compostelle où elle va parcourir seule 1250 km en 2 mois avec l’ambition de se déconnecter, de prendre le temps de se retrouver et de marcher en quête d’elle-même. 

À travers son périple très intime, elle interroge des questionnements très universels et contemporains, de voyager seule quand on est une femme à se couper du monde dans une société qui pousse à l’hyper-connexion à s’autoriser de partir quand la pression sociale influe sur la liberté d’une jeune maman qui laisse son enfant pour quelques semaines…

Un exercice délicat, avec ses difficultés, ses peines, mais aussi ses joies et ses vertus que Lili Sohn met en scène dans ce livre. Cet exercice imposé (elle part sur les conseils de ses agent et éditrice) devient une quête très personnelle au fil des kilomètres. Comment se réapproprier l’espace après l’expérience du confinement, mais aussi questionner son rapport aux autres, à la nature ou à son propre corps ? La dessinatrice va rejoindre les centaines de milliers de personnes qui empruntent ce chemin depuis dix ans (en 30 ans, les pèlerins comptabilisés à Saint-Jacques sont passés de presque 5 000 en 1990 à quasi 350 000 en 2019), un renouveau de la marche et d’un certain éloge de la lenteur face une époque qui va de plus en plus vite.

Étape par étape 

La bande dessinée revient sur cette expédition, de la préparation de l’aventure au bilan de cette marche, sans oublier le pèlerinage en lui-même. Avec humour, Lili Sohn décortique les raisons qui l’ont poussé à accepter, celles qui ont failli la faire renoncer et nous propose plusieurs étapes pour en comprendre toutes les implications. Son périple personnel, son impact sur la famille, ses rencontres heureuses ou problématiques, son rapport aux objets connectés ou non et ce quotidien soumis aux intempéries. L’autrice part avec un avantage, ses parents l’ont initié à la marche et tiennent un gîte sur ce chemin depuis 15 ans. 

Sa déconnexion s’accompagne d’un projet complémentaire à la bande dessinée, elle qui est très connectée et active sur les réseaux sociaux tente de se sevrer pendant ces deux mois : elle co-réalise un documentaire avec Fanny Fontan Digitale détox. Cette production pour France TV s’axe sur cette partie du voyage, qu’on retrouve aussi dans la bande dessinée, et propose une autre approche du projet.

La route & chemin de traverse

Pour mettre en image ce projet, la dessinatrice choisit un style composite, elle mêle à ses dessins, des photos, collages, des cartes… Elle conserve son trait habituel qu’elle complète toujours de collages, de superpositions ou d’accumulations mais l’enrichit cette fois d’aquarelles ou de crayons de couleur.

Les planches façon carnet de voyage donnent un ton contemplatif amène une narration en phase avec son sujet, l’autrice a adapté son approche graphique pour mieux nous faire vivre cette expérience. 

Les chapitres s’ouvrent à la manière des guides vendus pour les marcheurs, avec les étapes du jour façon carte topographique — ponctuée de son cheminement mental — complétés avec le détail des étapes et des paysages rencontrés. Elle ajoute à tout cela des notes pour se préparer, des documents, elle croque son matériel ou donne des conseils pour le budget. 

Après lecture, on ressent vraiment une envie de partir et d’éprouver nous aussi cette étrange liberté mentale proposée par l’épuisement du corps. Dans la lignée de ses livres précédents, l’autrice s’attache à partager, transmettre et questionner son environnement au travers d’une expérience très personnelle.

Thomas Mourier le 31/10/2022
Lili Sohn - Partir — Sur les chemins de Compostelle - Casterman
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