Dans le cadre de son projet, Les Vestiges de l’exode, Thompson documente la communauté de Spring Valley, dans l'État de New York, qui abritait autrefois une population florissante d'immigrants caribéens et qui, ces dernières années, a vu son nombre diminuer de façon spectaculaire. Entre mémoire et quotidien, un témoignage organique.

En retournant dans son quartier de Spring Valley où il a grandi, Al J Thompson offre avec son livre un témoignage affectueux d'un paysage en mutation et des visages de ceux qui y vivent. Dans de nombreuses cultures, les saules sont considérés comme des symboles de résilience et de compassion. Ils abritent ceux qui recherchent l'intimité ; plutôt que de se fendre ou de se briser, leurs branches rebondissent après de fortes chutes de neige ou du vent. Il est donc normal qu'un saule orne la couverture de la première monographie d'Al J Thompson, Remnants Of An Exodus.

Dans le cadre de ce projet, Thompson documente la communauté de Spring Valley, dans l'État de New York, qui abritait autrefois une population florissante d'immigrants caribéens et qui, ces dernières années, a vu son nombre diminuer de façon spectaculaire. Ce changement démographique est le résultat de difficultés économiques, de manœuvres politiques et de l'embourgeoisement. L'escalade et l'application de la guerre contre la drogue dans les années 1980, la corruption au sein du gouvernement local, ainsi que l'afflux de résidents plus riches ont affecté de manière disproportionnée la communauté noire de Spring Valley.

Remnants Of An Exodus, publié cette année par Gnomic Book, prend le Spring Valley Memorial Park comme scène principale, présentant des paysages, des portraits et des plans détaillés pour donner corps à un sens de la communauté qui va à l'encontre de toute représentation typique et simplifiée des "victimes" de l'embourgeoisement.

Nous entendons souvent parler de gentrification comme d'un mot à la mode. C'est une menace existentielle et financière pour les communautés de couleur à travers les États-Unis, mais il est rare qu'elle soit traitée avec une complexité qui dépasse le terme de "victime". Thompson, qui est né et a passé ses premières années en Jamaïque, retourne dans la première communauté américaine de sa jeunesse pour montrer qui reste en substance, et pour inciter le spectateur à regarder plus profondément. Un essai de Shane Rocheleau, intitulé Gathering Remnants, clôt le livre en jetant un regard plus large sur le mouvement Black Lives Matter dans le contexte des luttes pour les droits civils de l'histoire américaine.

En 55 photographies en noir et blanc, Thompson parvient à créer une vision complète et complexe de son sujet. Les images n'évitent pas les vues dures et difficiles de la décadence et des bouleversements ; elles les associent plutôt à la vérité des vies vécues sur la toile de fond d'un espace en mutation. En parlant de Spring Valley, Thompson note : "une dystopie au sein de la communauté, mais aussi de l'espoir".

Certaines photographies se situent entre le formalisme et l'abstraction, une fissure dans la chaussée qui rappelle une vue aérienne du cours d'une rivière ou une tache humide sur le sol noir d'une aire de jeux qui reflète le soleil comme du mercure liquide. Ces images plus détaillées créent une aura de l'espace comme si le spectateur pouvait tendre la main et tracer la fissure ou sentir l'humidité laissée dans l'air après une pluie d'été. Le saule réapparaît plus tard, ses branches prises dans une rafale de vent.

Mais c'est dans les portraits que l'œuvre de Thompson prend tout son sens. Un homme musclé, torse nu, incline légèrement la tête, la vulnérabilité de ce petit geste en dit long. Une chemise soulevée au-dessus d'un pantalon à fleurs, où deux mains encadrent un ventre, est rencontrée par le pinceau léger d'une troisième, qui fait écho à la main d'une femme reposant sur la jupe à fleurs contre sa cuisse. Le thème revient dans une image de deux jeunes enfants, observant le spectateur, alors que la main d'un adulte se pose de manière protectrice autour de leurs épaules. Certains portraits montrent de la réserve et parfois de la prudence. Il y a des éclats de rire. Et pourtant, les émotions dominantes sont la tendresse et la connexion. Ce type de relation avec la communauté, le paysage, l'œuvre elle-même a été résumé par Thompson lorsqu'il m'a dit que " beaucoup de ces images sont mes préférées, chacune d'entre elles est mon bébé, mais je ne peux pas en aimer une plus qu'une autre. Elles font partie de moi".

Les photographies de Thompson dépeignent l'intersection des vestiges. Elles documentent la coexistence des personnes et des lieux de Spring Valley avec le souvenir de tout ce qui a disparu.

Magali Duzant le 9/06/2021
Al J Thompson - Remnants of an Exodus - Gnomic Book

De l'exode au retour, le travail de mémoire d'Al J. Thompson