Le post-mortem de Tony Allen
Disparu l’an dernier, Tony Allen n’avait pas eu le temps de finaliser son album collaboratif avec des rappers. C’est dorénavant chose faite, avec a little help from Vincent Taeger. Retour méthodique sur “There Is No End”.
L'une des caractéristiques de la batterie du regretté Tony Allen était sa capacité à changer de registre en un clin d'œil. Le sien est typiquement un groove syncopé qui peut être interrompu brusquement par une explosion d'air dans les charlestons et un remplissage bruyant sur les toms, nous faisant prendre conscience de sa présence non seulement en tant que sideman solide mais aussi en tant que soliste spacieux.
Cette désinvolture dans l'échange de codes rythmiques a fait d'Allen un formidable collaborateur, travaillant avec tout le monde, de Fela Kuti à Damon Albarn, en passant par les producteurs de techno Moritz von Oswald et Jeff Mills, et la sommité du jazz Hugh Masekela. Fidèle à lui-même, avant sa mort en 2020, il travaillait sur cette collaboration de grande envergure, un album de rythmes sur lequel une nouvelle génération de rappeurs pourrait s'exprimer.
Le résultat est le très riche There Is No End, arrangé à titre posthume par le producteur Vincent Taeger. Les rythmes d'Allen - déjà samplés dans des morceaux de J Cole, Missy Elliott, Nas et Mos Def - sont familiers et font hocher la tête sur le morceau d'ouverture Stumbling Down, se mariant parfaitement avec les flows polyrythmiques et dispersés du rappeur zambien Sampa the Great, tandis que le baryton grisonnant de Tsunami, de Los Angeles, croise de manière satisfaisante l'afrobeat chargé de réverbération sur Très Magnifique.
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La musique la plus intéressante ici se produit lorsque le travail métronomique d'Allen est découpé et rendu exotique : le gémissement déséquilibré de Danny Brown trébuchant sur une ligne de basse en triolets sur Deer in Headlights, le lyrisme dub du poète Ben Okri sur le vamping Cosmosis, et la démarche spacieuse, faisant référence au Wu Tang, de Hurt Your Soul, ralentissant Allen à un rythme menaçant.
Contrairement à l'impression de bricolage que donnent de nombreux albums posthumes, There Is No End est un disque cohérent grâce à la capacité d'Allen à se glisser derrière n'importe quel collaborateur sans diluer son sens inné du style rythmique. L'album est un aperçu alléchant des disques variés qu'Allen aurait pu réaliser ; en l'état, il inspirera sans doute d'autres personnes à continuer à façonner la multitude d'œuvres qu'il a laissées derrière lui dans de nouvelles formes étourdissantes. Qui veut se poser en successeur ? Cela ne va pas être aisé. Pour le moins.
Jean-Pierre Simard le 11/05/2021
Tony Allen - There is No End - Decca Records France