Benoît Pinette : folk me up !
D’une étonnante beauté à facettes, le premier recueil de poésie d’un phénomène du power folk canadien : Benoît Pinette. Et c’est ainsi que La Peuplade Poésie, où l’on trouvait déjà par exemple les beautés de Vanessa Bell, de Marie-Andrée Gill, de Charles Sagalane ou de Marie-Hélène Voyer, continue de construire avec éclectisme son passionnant catalogue.
tu passes la tondeuse
sur mon âme
fais de mon idéal
un village fortifié
inachevé
(…)
entre les pas tracés de l’ambition
et le concours de coups de circuit
j’enfonce l’angoisse
loin dans la rêverie
pour préserver mes chances
de remporter le titre
de joueur
le plus utile à ma famille
Natif de Sherbrooke au Québec, Benoit Pinette est aujourd’hui surtout connu comme auteur-compositeur-interprète sous le nom, depuis 2008, de Tire le coyote. Après des débuts musicaux dans un groupe de « rock atmosphérique d’inspiration karkwaienne« , il entame sa carrière solo sous le signe résolu d’un power folk résonnant avec ceux des Decemberists (qu’il affectionne tout particulièrement) et de Neil Young (auquel il est désormais souvent comparé).
je renais
chaque jour à l’intérieur
d’un coffret de sûreté
sans combinaison connue
Avec ce premier ouvrage publié, chez La Peuplade en 2021, regroupant trois brèves plaquettes intitulées « Je sais déjà ne rien comprendre », « L’équilibre des époques » et « Le droit à l’oubli », le parolier multi-récompensé de l’album « Désherbage » (2017), encensé par la critique et fortement reconnu par le public, semble bien accéder à une nouvelle dimension, en se permettant, bien que sous une forme encore très ramassée, une écriture davantage au long cours que celle de ses chansons, dont la malice et la gouaille dégageaient déjà une singulière puissance syncrétique – comme par exemple dans « Jeu vidéo » (« Embarque dans mon vieux char / Couche-toi sur mes remords / L’ivresse est stallée sur ta peau »), « Pouvoirs de glace » (« Mes satellites sont sous l’emprise / Des ondes soumises à la folie / Mauvais signal, quand vient la crise / Mon seul canal, la nostalgie ») ou « Toit cathédrale » (« Si ton radar te sonne l’alerte / Que l’espace est un besoin vital / Je peux devenir ton aire ouverte / Ou encore ton toit cathédrale »), sur l’album « Désherbage », ou aussi déjà dans « Chainsaw » (« J’crinque ma chainsaw / Pour gonfler l’écho de notre empire »), ou « Bombe à retardement » (qui mériterait sans doute d’être citée intégralement), sur l’album « Mitan » de 2011.
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tous les jours
un champ de bataille
je te guette
je prédis l’hécatombe
j’attaque
à reculons
je regrette
je te ménage ensuite
pour éviter le pire
et je marche l’enfance
ce territoire colonisé
(…)
flashbacks
à perpétuité
la mémoire est une corde
de bois d’allumage
la prison d’origine
l’armure d’écorce
je me pars une collection
de barreaux
sciés
Maintenant tout au long du recueil (la tentation d’écrire « l’album » reste grande) une rythmique soigneusement obsessionnelle, Benoit Pinette se donne néanmoins le temps d’une exploration qui, pour être effrénée, reste en permanence ouverte à l’observation, à la colère sourde et à la mélancolie. Territoires de l’enfance et des premiers amours, territoires de la famille et des rencontres, territoires des amitiés, des constances et des trahisons : si la gouaille est bien présente, avec son sens de la formule digne des rappeurs ou slammeurs les plus incisifs du moment, elle se teinte épisodiquement, en une curieuse harmonie, d’un indéniable sérieux dans la manière d’aborder les blessures et les rebonds, les confiances et les dérapages, en usant d’une dynamique toute personnelle, sagace et tendre derrière les bourrades apparentes.
Et c’est ainsi que La Peuplade Poésie, où l’on trouvait déjà par exemple les beautés de Vanessa Bell, de Marie-Andrée Gill, de Charles Sagalane ou de Marie-Hélène Voyer, continue de construire avec éclectisme son passionnant catalogue.
je vous écris
le chantier qu’on m’a légué
l’absence de parole
dont je suis empreint
la beauté simple
comme une seule branche
à laquelle s’agripper
une seule branche
à laquelle vous fier
Hugues Charybde le 25/05/2021
Benoît Pinette - La mémoire est une corde de bois d'allumage -éditions La Peuplade
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