Naissance du combat des femmes qui voulaient peindre : 1780 — 1830 au musée du Luxembourg

Autoportrait de l'artiste peignant le portrait de l'impératrice Maria Féodorovna, Elisabeth Louise Vigée Lebrun, 1800 © Saint-Pétersbourg, Musée de L'Ermitage

Autoportrait de l'artiste peignant le portrait de l'impératrice Maria Féodorovna, Elisabeth Louise Vigée Lebrun, 1800
© Saint-Pétersbourg, Musée de L'Ermitage

On croit qu’après la gloire d’Elisabeth Vigée Le Brun liée à l’Ancien Régime, il faut attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour trouver des peintres femmes aussi remarquables. Pourtant, c’est entre 1780 et 1830, que le combat de ces dernières a trouvé ses racines : le droit à la formation, la professionnalisation, une existence publique et une place sur le marché de l’art. Celles qui sont ici présentées furent les actrices de ces changements sociaux et mutations de l’art du XIXe siècle.

A travers 70 œuvres, l’exposition « Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d’un combat » entend remettre en avant de nombreuses artistes, actives de la fin de l’Ancien Régime à la Restauration, célèbres en leur temps mais largement oubliées depuis. Ces peintres talentueuses ont développé des stratégies complexes et astucieuses pour être reconnues comme professionnelles et vivre de leur art. Les œuvres présentées au Musée du Luxembourg témoignent de leurs qualités d’artistes autant que de ces combats.

L’exposition est construite en quatre sections :

1. Le droit d’être peintres : l’anti-académisme et la féminisation des beaux-arts ; 2. Apprendre. Dilettantes et professionnelles ; 3. Le Salon : un espace incontournable en mutation et enfin 4. Moi. Peintre.

Au XVIIIe siècle, les préventions contre les peintres femmes sont fortes : l’idée selon laquelle, de par leur faible constitution physique et mentale, les femmes seraient incapables de peindre aussi bien que les hommes, — c’est-à-dire de peindre bien la peinture d’histoire— est communément admise. Celles qui apparaissent manifestement douées sont présentées comme des exceptions à ne pas suivre : la peinture est en effet perçue comme une activité qui ne sied pas à une femme décente à moins qu’elle ne la pratique en dilettante et se cantonne dans des genres convenants à son sexe (l’aquarelle, la miniature, le petit format, toutes techniques requérant minutie, finesse et application, tous sujets correspondant à ses penchants « naturels » : le charmant, le tendre, le sentimental). Face à ces difficultés, et profitant de l’engouement pour le phénomène de la vocation artistique féminine au centre de tous les débats depuis la double admission de Vigée Le Brun et Labille-Guiard, les femmes peintres développent plusieurs stratégies concomitantes pour s’affirmer.

Nisa Villers, Portrait présumé de madame Soustras laçant son chausson, 1802 Paris, musée du Louvre, auprès du musée international de la Chaussure, Romans-sur-Isère © Rmn-Grand Palais (musée du Louvre) photo © Maxime Chermat

Nisa Villers, Portrait présumé de madame Soustras laçant son chausson, 1802 Paris, musée du Louvre, auprès du musée international de la Chaussure, Romans-sur-Isère © Rmn-Grand Palais (musée du Louvre) photo © Maxime Chermat

Le sérieux de la formation qu’elles ont reçue est un élément fréquemment mis en avant par les femmes pour défendre leur statut de professionnelles. Le premier lieu de formation des peintres femmes est généralement et traditionnellement la famille : filles, nièces ou épouses de peintres, ces femmes apprennent la peinture dans les ateliers de leurs proches qu’elles fréquentent de façon assidue. La carrière de peintre apparaît comme naturelle pour ces femmes qui travaillent dans l’atelier familial. C’est le cas par exemple de Marie Eléonore Godefroid, petite fille de la veuve Godefroid restauratrice du roi, fille et sœur de peintre, ou de marie Nicole Vestier, fille d’Antoine Vestier, épouse du peintre François Dumont, ou encore de Rose–Adélaïde Ducreux fille de Joseph Ducreux.

Fait nouveau pendant la période envisagée, d’autres moyens de formation et une autre sociologie des artistes femmes apparaissent. Dès la fin du XVIIIe siècle, des ateliers s’ouvrent aux jeunes filles qui ne sont pas nées dans des familles d’artiste : précédés par celui de Jean-Baptiste Greuze (dans les années 1770), ceux de Jacques-Louis David, de Joseph-Benoît Suvée (fin des années 1780), puis de Jean- Baptiste Regnault, de François Gérard, ou encore de Léon Cogniet et bien d’autres encore. Jacques Louis David s’oppose ouvertement au pouvoir de l’Académie. Très couru, son atelier de jeunes filles est au cœur de la stratégie d’affirmation de l’artiste et de ses idées. Quand elles ne supervisent pas l’atelier d’un maître (Mesdames Suvée, Régnault, la sœur et l’épouse de Léon Cogniet...), les peintres femmes ont aussi leurs ateliers. Après la génération des pionnières des années 1780-1790, nombreuses sont celles à en ouvrir un : Pauline Auzou, Hortense Haudebourt-Lescot, Louise Hersent, etc.

Marie-Guilhelmine BENOIST, Autoportrait copiant le Bélisaire et l’enfant à mi-corps de David (détail), 1786, huile sur toile, 95,7 x 78,5 cm, Allemagne, Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe, Photo © Staatliche Kunsthalle Karlsruhe

Marie-Guilhelmine BENOIST, Autoportrait copiant le Bélisaire et l’enfant à mi-corps de David (détail), 1786, huile sur toile, 95,7 x 78,5 cm, Allemagne, Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe, Photo © Staatliche Kunsthalle Karlsruhe

Pour un artiste de la fin du XVIIIe siècle, le Salon organisé par l’Académie royale de peinture et de sculpture constitue une consécration et le meilleur moyen de se faire connaître. Sous l’Ancien Régime, ne pouvaient exposer au Salon que les membres de l’Académie royale, parmi lesquels il ne pouvait y avoir que quatre académiciennes. En 1791, par décret du gouvernement révolutionnaire, le Salon fut ouvert à tous, et les femmes bénéficièrent au premier titre de cette ouverture. On compte une trentaine d’artistes femmes (toutes techniques confondues) dans les salons révolutionnaires (environ 9 % des exposants). Elles sont 200 au milieu des années 1820 (15 % des exposants).

Il existe aussi des manières de contourner l’Académie. Ainsi, la création du statut d’artiste libre en 1777 (émancipé des contraintes tant de la corporation que de l’Académie royale) donne une plus grande liberté aux femmes. L’Académie est abolie en 1792 et l’Institut qui lui succédera n’exercera pas le même empire sur le monde artistique. Par ailleurs, d’autres expositions que le Salon sont organisées, comme l’exposition de la Jeunesse ou le salon de la Correspondance, ou les expositions de la galerie Le Brun (l’époux d’Elisabeth Vigée Le Brun). Enfin, pour se faire connaître, certaines artistes choisissent de s’appuyer sur leurs marchands ou bien d’exposer dans leur propre atelier.


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L’exposition se clôt sur une série d’autoportraits qui rendent compte de la diversité que recouvre la formule de « peintre femme ». Le portrait de peintre femme devient un genre en soi, très apprécié du public. Il permet aussi aux artistes de proposer une représentation d’elles-mêmes et donc de prendre position dans le combat pour la reconnaissance de leur statut d’artiste à part entière.

Empruntant au genre de l’allégorie, plusieurs artistes se représentent comme des figures antiques. C’est le cas de Geneviève Bouliard, qui se représente en Aspasie, que l’histoire a retenue comme la compagne du législateur athénien Périclès, mais qui était reconnue par ses contemporains pour son intelligence. Une façon pour l’artiste d’indiquer, en pleine période révolutionnaire, que les femmes ont voix au chapitre dans les affaires politiques !

On notera que le Luxembourg, adossé au Sénat propose de sacrées expositions. Et que c’est assez savoureux de parler précisément du combat pour la libération des artistes femmes à un tel endroit, peu réputé pour son avant-gardisme… Belle expo et occasion de promenade en sortant. What Else ?

Valentin Lepêcheur le 21/05/2021
Peintres femmes, 1780 — 1830, Naissance d’un combat
→ 4 juillet 2021
Musée du Luxembourg 19, rue de Vaugirard 75006 Paris

Sabine MEIER, Métamorphose 4 (2) (...) comme des géants, plongés dans les années,  à des époques, vécues par eux, si distantes, - entre lesquelles tant de jours sont venus se placer - dans le Temps, 2011, Tirage collé sur dibond, 165 x 140 cm, collection de l’artiste © Sabine MEIER

Sabine MEIER, Métamorphose 4 (2) (...) comme des géants, plongés dans les années,
à des époques, vécues par eux, si distantes, - entre lesquelles tant de jours sont venus se placer - dans le Temps, 2011, Tirage collé sur dibond, 165 x 140 cm, collection de l’artiste © Sabine MEIER