“What is Jazz”, la musique en biais de Joachim Khün, Benoît Delbecq et Atom TM

De l’archive numérisée de frais, des ballades au Steinway et une approche multi-facette du son pour trois albums qui fleurent bon le jazz. Mais pas que. C’est notre sélection de week-end au grand large des chapelles.

Joachim Khün

Joachim Khün

Enregistré à la demande du boss d’ACT, Siggi Loch, Touch The Light de Joachim Khün a été conçu à Ibiza sur son Steinway qui fait face à la mer, via un DAT et de nombreux échanges de maquettes entre Berlin et Ibiza. Sur une période d'environ quinze mois, il a envoyé au total une quarantaine de titres individuels à Siggi Loch. Il en prenait souvent des morceaux, les repensait et finissait par envoyer plusieurs versions différentes à Berlin. Ce qui ressort de ce nouvel album de piano solo est donc une distillation des prises individuelles.

L'auditeur est d'abord accueilli par le pouls réconfortant et régulier du "Warm Canto" de Mal Waldron. Plus tard, par contraste, la composition "Sintra" de Kühn donne un cours de maître sur la liberté, le retard et l'art alchimique de faire attendre l'auditeur. Le "Purple Rain" de Prince est douloureux, tandis que Kühn a trouvé l'encouragement pour revisiter le "Peace Piece" de Bill Evans dans la dignité et la retenue de la version du pianiste classique Igor Levit.

Joachim Kühn peut nous montrer une légèreté de toucher ineffable dans l'Allegretto de la septième symphonie de Beethoven. Mais il peut aussi être énergique, car il donne du poids au thème du "Dernier tango" de Barbieri. Il y a aussi des hommages aux dons mélodiques de certains joueurs d'anches : "Warm Canto" rappelle la façon dont Eric Dolphy à la clarinette survole la mélodie de l'album "The Quest", et l'ampleur de la composition de Milton Nascimento "Ponta de Areia" rappelle clairement la voix lyrique, aérienne et touchante du grand Wayne Shorter.

Mais c'est surtout dans la simplicité et le pur plaisir de la mélodie de ses propres compositions que Kühn touche au cœur et nous réserve les plus grandes surprises sur cet album. "Sintra", l’inédit écrit dans un endroit paisible à l'extérieur d'un café dans l'ancien sanctuaire des rois portugais. Et le morceau titre "Touch the Light" capture la beauté du coucher de soleil sur la mer que Kühn contemple souvent depuis sa terrasse. La remarque de Kühn à propos de ce morceau est également vraie pour l'ensemble de l'album : "Il y a beaucoup d'amour ici. Et de joie". Profitez donc … 

Atom TM

Atom TM

Moitié de Flanger, Lisa Carbon, Brian Ego, Senor Coconut ou simplement Uwe Schmidt, Atom TM n’adore rien mieux que jouer du pseudo pour un projet précis. Et comme il est plutôt productif, il circule au sein des registres musicaux en adaptant pseudo et propos. Ici, c’est l’archiviste qui reprend des veilles bandes inédites pour en faire une série de 12 albums dont This is Jazz est le premier volume à sortir sur le label NN. Comme d’habitude, si on s’attend à un son unifié, une musique à l’atmosphère unique et un registre içnvariable, on ne peut être que déçu. Pour les autress, l’aventure commence dès les premiers sons où Atom attaque de biais pour produire un truc dérangeant qui s’installe peu à peu avant de laisser place au suivant qui attaquera d’une autre manière. Si la procédure est connue qui a fait les beaux jours de la tek-jazz des 90’s avec Flanger et Carl Craig, c’est surtout le travail sur les textures sonores qui est intéressant ici. PAs moyen de se laisser aller à une nappe quand celle-ci valse pour faire place à une suivante qui arrive encore de guingois. tout le bonheur est dans la surprise. Et elle est grande.

Benoît Delbecq par Lukasz Rajchert

Benoît Delbecq par Lukasz Rajchert

Premier album solo depuis dix ans, The Weight of Light sur Pyroclastic Records est un appel de Benoît Delbecq à écouter autrement neuf pistes de musique originale qui pivotent à travers une luminosité contemplative et une obscurité éthérée. Au service de la spontanéité, chaque geste reflète une traduction du sentiment et invite les auditeurs à engager leurs propres réactions émotionnelles à la musique, tout en écoutant en temps réel. "J'ai dessiné la pochette du disque assez rapidement, mais l'ombre m'a pris des jours", dit-il. "Je voulais rendre quelque chose de mystérieux à propos de l'ombre de ce mobile." Ce mystère sans nom repose sur la conscience de The Weight of Light et comprend des interprétations à la fois physiques et figuratives car la lumière possède son propre poids. "Quand je compose, c'est exactement comme si je cherchais à inventer la forme future d'un objet", dit-il, "alors je le regarde de différents endroits. C'est comme une façon 3D de concevoir des choses qui ont à voir avec les phénomènes optiques. Si je me déplace autour de l'objet, il révélera des formes qui sont cachées sous d'autres angles".

Certains voient cet album comme la rencontre de Monk et Webern et il y a de quoi se poser des questions sur l’idiome en présence où, pour ma part, j’entends plutôt l’Ellington percussif de Money Jungle ou la recherches de formes anciennes à renouveler comme chez Moondog. Interrogé via FB, Delbecq me répond qu’ à cela ne tienne, il a déjà écrit des motets… mais que là, occupé sur des musiques de film il n’a pas le temps d’en dire plus. Ni classique, ni contemporain, ni jazz … quoique, la proposition de suivre à l’œil nu la progression de la lumière et de son poids dans l’espace fait plus que retenir notre attention. Nous sommes tout ouïe ! Laissez valser les textures et imaginez ce qui arrive. Vous y êtes !

Jean-Pierre Simard le 26/02/2021
Joachim Khün - Touch the Light - ACT
Atom Tm - This is Jazz - NN
Benoït Delbecq - The Weight of Light -
Pyroclastic Records — PR 13

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