King Von, presque célèbre - mais déjà mort

King Von 26 ans, de son vrai nom Dayvon Bennett a été descendu lors d’une rixe entre bandes devant une boîte d’Atlanta où il venait de déménager, en provenance de Chicago le 6/11/2020. il venait de sortir fin octobre, son premier album très prometteur : Welcome to O’Block.

King Von aurait pu/dû être la prochaine grande star du rap de Chicago. S'étant fait connaître avec ses "Crazy Story" et des singles viraux comme "Took Her To The O", ses facilités d’écriture pour raconter des histoires vives et percutantes sur ce qui se passe dans le pâté de maisons 6400 de South Dr. Martin Luther King Jr. Drive dans le quartier sud de Chicago (surnommé O'Block), ont remis sous les projecteurs l'un des nombreux quartiers que les élus n'ont pas réussi à soutenir.

Rien de tout cela ne serait advenu sans l’aide de son ami Lil Durk, qui a encouragé Von à rapper pour l'empêcher d'avoir des ennuis. Trois ans plus tard, après avoir purgé une peine de trois ans et demi en prison pour une tentative de meurtre dont il a été finalement acquitté, l'amélioration constante de Von l'a mis en position de devenir un exemple pour la prochaine génération d'artistes de Chicago.

Au lieu de cela, le rappeur prometteur a été confronté à une mort prématurée par la violence de la rue qu'il a détaillée de manière très efficace dans ses chansons. Né Dayvon Bennett, il était plus qu'un simple rappeur ; il était père de deux enfants, en même temps qu’une figure importante de la scène de Chicago.

Les nuances qu'il développait font surface sur son premier album studio, Welcome To O'Block. Sorti une semaine avant sa mort, ce projet polyvalent présente Von racontant les histoires des rues de Southside qui donnent aux auditeurs l'impression d'être à ses côtés alors qu'il observe ce qui se passe à O'Block.

L’ouverture "Armed & "Dangerous" donne le ton avec une introduction de Von sur son passé, crachant ses vers avec férocité. Il évoque successivement la mort d'Odee Perry (qui a donné son nom à O'Block), l'accusation de vol à main armée qui l’ a emmené au bloc à 17 ans et comment la guerre des gangs de Southside Chicago est devenue une fascination pour ceux qui ne vivaient pas dans la violence grâce au rap. Il y rappe avec intensité, montrant clairement que son art est le reflet d'un monde que beaucoup ne peuvent pas comprendre et dans lequel ils ne survivraient pas. "Des enterrements dos à dos, c'est eux ou nous, c'est lui ou moi/ne vous faites pas arrêter parce qu'il n'y a pas d'argent pour les cautions, nous faisons cette merde gratuitement". Si vous n’aviez pas compris le mouvement Black Live Matters, l’illustration est assez claire et cinglante.

Les points forts du disque sont "Why He Told", un moment déchirant où Von lutte pour faire face à la trahison d'un ami proche, un frère devenu mouchard. Il n'y a aucun sentiment de rage meurtrière, ni aucune réplique sur le fait de devoir éliminer le rat. Von exprime une confusion et un chagrin véritables, se sentant idiot d'avoir fait confiance à une personne qui lui a fait tant de mal. Cette gamme d'émotions, associée à la voix tremblante de Von, donne à l'auditeur l'impression d'être sur l'autre ligne, devenant ainsi une caisse de résonance pour des sentiments contradictoires.

Von utilise aussi plusieurs flow différents, passant du connu "Crazy Story" à d’autres registres sur "Demon", il part d'un chant harmonieux à une prestation style mitraillette, tout en rendant hommage à ses amis disparus. Sur "Mine Too", il joue de l’auto-tune, ajoutant un court écho pour créer un sentiment d'effroi persistant. Dans le deuxième couplet, il transmet un tourbillon d'émotions, allant de l'air menaçant, "Salopes, je le sais/Je garde mes distances comme COVID", à l'épuisement et à la déception, "J'ai le monde sur les épaules/Je voudrais juste que ma famille soit plus proche".

Il fait des progrès dans ses ballades sentimentales, des titres comme "Mad At You", qui met en scène la reine du rap de Chicago Dreezy servant de contrepoids au rôle de Von en tant qu'amante délaissée, donnent une perspective complète de deux personnes imparfaites essayant de faire fonctionner le système, plutôt que la chanson rap vindicative et cliché "hoes gon be hoes" qui brise le cœur.

"Wayne's Story" s’avère le titre le plus abouti, un sinistre récit d'une jeune vie dont les actions se traduisent par une tragédie. Von brosse le portrait d'un jeune escroc de 14 ans marqué par un avenir sombre. Il modifie la vitesse et la cadence de son débit à mesure que l'histoire s'intensifie, le personnage principal rejetant toute chance d'échapper à son destin pour l'attrait des rues. Son récit édifiant sur la façon dont le cycle perpétuel de la guerre et des effusions de sang se poursuit est une performance qui définit sa carrière.

Des sorties posthumes contribueront à maintenir l'héritage de Von en vie, mais aucune musique a posteriori ne remplacera ce qu'il était sur le point de devenir. Welcome To O'Block est le type de premier album que les rappeurs recherchent : une vitrine implacable et engageante de talents supérieurs les préparant à une longue et prospère carrière. Au lieu de cela, ce qui aurait dû servir de rampe de lancement à une nouvelle star devient maintenant son rappel, un rappel tragique de ce qui aurait pu être. Et on apprend que parmi les grâciés du Trump de la dernière heure, figure Lil’Wayne, lui aussi d’Atlanta, qui venait de se faire poisser avec une arme non déclarée et qui évite de longues années encagées. Black Live Matters, plus que jamais.

Jean-Pierre Simard le 22/01/2021
King Von - Welcome to O’Block - Empire

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