Le Riboud chinois expose chez Polka
De 1957 à 2010, Marc Riboud n’a cessé de visiter la Chine et les lieux qui le fascinaient. Villes monde et montagnes sacrées. Polka présente « Chines », une sélection de 40 images, avec tout l’amour du grand photographe, disparu en 2016, pour le peuple chinois.
Un voyage au long cours vers l’Orient, de la campagne des Cent Fleurs de Mao jusqu’au capitalisme de Hu Jintao. « Du Grand Bond en avant au grand boom économique, de la pauvreté égalitaire aux nouveaux riches, de la Révolution culturelle au culte de l’argent, j’ai vu une Chine très « chinoise » d’abord embrigadée par Mao se précipiter ensuite avec frénésie dans l’économie de marché », écrit Marc Riboud.
Un voyage à travers un demi-siècle d’histoire d’un pays immense sur lequel il a posé, avec distance, humilité et pudeur son regard d’artiste, laissant les images parler d’elles-mêmes. « Je suis photographe, je ne suis pas sinologue » écrit Marc Riboud. « En Chine j’ai beaucoup marché, beaucoup regardé. J’ai lu les livres, entendu les récits des voyageurs, partagé les enthousiasmes, les déceptions, les interrogations. Partout, j’ai vu, j’ai aimé, la beauté des visages, la patine des outils, l’immensité et l’étrangeté des paysages et partout une certaine dignité qui, pour presque tout un peuple, a remplacé l’humiliation. Faut-il ajouter des mots à tous ceux qui ont été écrits par plus compétents que moi ? »
L’exposition, organisée à la galerie en marge d’une importante rétrospective de son travail au Musée National des Arts Asiatiques Guimet après le leg d’une partie des archives Marc Riboud à l’institution (négatifs, diapos, tirages, correspondance) réunit une exceptionnelle sélection d’épreuves rares : grands formats, tirages vintage de référence, mais aussi des « Dye-Transfer » couleur, une technique de tirage, permettant une densité des teintes et une qualité de restitution que le tirage numérique ne dépassera jamais. Dans « Chines » on retrouve les icones de Riboud :
Un couple d’amoureux anonyme dans l’intimité d’un train entre Hong Kong et Canton, une séance de patin à glace sur le canal gelé le long des murs de la cité interdite, les artistes populaires – lutteurs, acrobates, bateleurs, marionnettistes – du quartier du Pont du Ciel au sud du vieux Pékin, les hauts fourneaux d’une aciérie et les fusils de bois des futurs gardes rouges en Manchourie, le labeur des paysans et des intellectuels de la Révolution culturelle dans les rivières du Guangxi, le sourire d’une jeune danseuse devant l’école de Ballet de Shanghai, la candeur d’un jeune soldat de l’armée populaire de libération devant les colonnes de marbre du Palais du peuple de Pékin. Mais c’est aussi les tours de Shenzhen, les promenades petite-bourgeoises sur le Bund de Shanghai à l’aube des années 2000 qui voient les grands magasins triompher. L’homme moderne dévisagé par la publicité a remplacé par l’homme nouveau dévisagé par Mao. L’austérité vertueuse a laissé sa place aux tours géantes de Pudong et au sourire envoutant de Gong Li. « Tout l’Orient que nous aimions pour la permanence des choses et de l’esprit se mue brusquement en un Occident extrême, dans une course qui est sans doute le film accéléré de la nôtre. »
Cette exposition rend aussi hommage aux montagnes sacrées du Huang Shan, éloge d’un artiste au grand rêve cosmique des vieux peintres chinois à la saison des brumes, sorte de voyage initiatique. « Zao Wou-ki m’avait convaincu. Le Huang Shan, ça ne se raconte pas, il faut le voir ! Si la grande muraille que l’on voit de la lune n’a jamais arrêté les Barbares, les escaliers du Huang Shan permettent aux Barbares que nous sommes d’atteindre sans escalade les cimes les plus vertigineuses [...]. L’odeur des pins, des feuilles flétries, des fleurs fanées, de la mousse et des lichens moisis et surtout des feux de forêt dont la fumée touche les nuages. La caresse des roches lisses et patinées comme des sculptures de bronze. La souplesse de la sandale sur la pierre, la fraicheur de la bruine sur le visage. Le goût du thé à l’étape, les saveurs des trois cents plantes médicinales dont se glorifie la montagne des peintres.
C’est cette Chine, entre passé et futur, que raconte Riboud. « S’il est vrai que la photographie peut montrer le monde surtout quand il change, il est difficile de faire le portrait d’une Chine qui bouge si vite. L’image risque d’être floue et même contradictoire. Dans les rues et les villages où j’ai beaucoup marché, un coup d’œil est souvent démenti par le suivant, celui d’hier par celui d’aujourd’hui. » C’est bien tout le sujet de cette exposition qui livre les clichés d’une Chine toujours à la veille d’un grand changement.
Marc Riboud - Chines - >27/02/2021
Galerie Polka - Cour de Venise 12, rue Saint-Gilles 75003 Paris