Ammar 808 envoie l'Inde dans les enceintes
Dans le même ordre de décalage somptueux, on avait connu Chassol faisant respirer le Gange dans son piano ou Jon Hassell et ses trompettes serpentines évoquant le quatrième monde. Mais là, c’est le Maghreb de Sofyann Ben Youssef qui croise le fer avec le sous-continent. Révélation !
L’explorateur tunisien signe un deuxième album intense qui fait un pont musical entre Maghreb et Inde. Développant depuis plusieurs années un univers sonore complet et fourni entre tradition et modernité, le musicien tunisien Sofyann Ben Youssef s’est fait remarquer au sein du groupe Bargou 08, dont l’album Targ (2017) réactivait avec éclat le patrimoine musical du Bargou (une région de Tunisie). Pour son second album Global Control-Total Invasion, chez Glitterbeat, il se concentre sur la musique du sud de l'Inde, et c'est sa déclaration musicale la plus audacieuse à ce jour.
L'album contient des enregistrements de plusieurs musiciens et chanteurs locaux que Youssef a rencontrés lors d'une visite dans la ville animée de Chennai, dans le sud de l'Inde et ce qui s’ensuit est un exercice réussi qui a pris du matériel source soigneusement conservé et enrichi de façon créative sous différentes formes. À un certain égard, il est résolument moderne, en particulier dans la manière dont les éléments électroniques sont déployés, mais le sens de l'histoire et de la tradition n'est jamais loin. Lorsque les deux sont mis ensemble, on a presque l'impression d'être témoin d'une étrange version musicale du voyage dans le temps. Ammar 808, fan de Jules Verne ?
La chanson traditionnelle carnatique, Marivere Gati, a été enrichie, première des trois pistes à inclure la voix soyeuse de la chanteuse locale Susha. Comme le reste de l'album, elle sonne immédiatement corporelle et tactile. Ey Paavi, avec la chanteuse Kali Dass, est encore plus brutale et implacable, montrant comment Youssef peut créer une musique palpitante qui excite et inspire.
Duryodhana offre davantage de possibilités d'intensification des rythmes et présente également les sons de roseau du nadaswaram. Il rappelle la musique d'Omar Souleyman et, à la fin, on a la nette impression que les murs commencent à se refermer autour de l'auditeur. Geeta Duniki apporte de la lumière et de l'ouverture pour compenser certains des premiers moments plus lourds et montre comment, malgré le thème général, il y a des contrastes dans l'album.
Pahi Jagajjanami est peut-être la synthèse la plus équilibrée de l'album, avec sa ligne de basse serpentine, ses synthés bien canalisés, ses rythmes entraînants et la voix vacillante de Susha qui s'unissent de façon entêtante. Des morceaux comme celui-ci et le morceau de clôture Summa Solattumaa semblent capturer la densité et le tissu même de la ville où il a été formé, tandis que l'album dans son ensemble est un témoignage de la poursuite de la découverte musicale. Pour l’oreille occidentale, c’est un voyage redoublé qui va du Maghreb à l’Inde et retour, en redéfinissant les contours des continents. Musicaux, les continents, comme il se doit. A vous de voir quel élan vous attirera le plus et à quel mix vous serez le plus sensible. A la fin de l’écoute , le trouble persiste. Et c’est tant mieux. Grand disque !
Jean-Pierre Simard le 22/09/2020
Ammar 808 - Global Control-Total Invasion - Glitterbeat