Environs, l’eldoramots de Rodolphe Burger
Comme dans Une Histoire simple de David Lynch, Rodolphe Burger nous embarque dans un périple de retrouvailles. Avec lui-même et son environnement immédiat - Environs parle des alentours de St-Marie aux Mines, dans les Vosges - et transcrit cela en paroles et musiques, portées par sa guitare singulière, un monde qu’il a fait sien.
On sait depuis des lustres et Kat Onoma que le rock est la philosophie première de Rodolphe Burger, un idiome qui parle, vit et respire en lui qu’il n’hésite jamais à bousculer/tordre et remanier pour lui faire dire son fait. C’est une sorte de phénoménologie (qui écarte toute interprétation abstraite pour se limiter à la description et à l'analyse des seuls phénomènes perçus) qui envoie la poésie comme moyen et la fait porter par des sons d’aujourd’hui entre rock aérien, folk d’ailleurs, rocksteady, krautrock avec une superbe reprise du Mushroom de Can, classique et électronique discrète. Et ce, en trois langues français, allemand et anglais pour dire l’ici et ailleurs tour à tour ; comme cela se parle là-bas dans les montagnes bleu sapin de la région et des boîtes de bonbon au miel éponymes.
Et, ce voyage qui dit vague, qui dit-stance, qui dit paysage mental des Vosges s’offre en 14 vignettes et autant de titres, ces quelques approches sont bien sûr biaisées pour apporter plus, mieux et à plusieurs voix : Christophe impeccable et spectral dans La Chambre, Bertand Belin, en parfait et continu contrepoint à la voix de Rodolphe, ou encore Sarah Murcia, voir Grimaçe, le groupe de son fils Simon, Hugues Reip et Philippe Poirier.
A l’origine, il y a bien cette carte, trouvée un jour aux Puces de Clignancourt par Fred Poulet et offerte à Rodolphe, un objet mental de départ/talisman dont on a effacé les répètes géographiques pour leur refiler un sentiment d’étrange éternité. Disparus les noms de Orbey, Sainte-Marie-aux- Mines, Kaysersberg pour y substituer des paysages mentaux, comme autant d’étapes à franchir/ressentir pour la restituer en puzzle - à chacun de le recomposer pour entendre, sentir, partager, dire enfin la multiplicité de cet endroit qui regarde passer les cultures pour se les ré-apropprier afin d’en faire un monde stable, tangible et posé là, pour mémoire et vie en cours… C’est un album de gauche, comme dirait Deleuze, qui pense d’abord le monde et les autres pour revenir sur soi, comme élément. Pratique et subtil à la fois.
D’étranges rencontres en univers retrouvés, d’émotions divulguées en images communicatives, c’est bien un parcours fléché que l’on suit, comme premier support, celui familial des Burger. Traverser la vallée des Vosges, dans les pas de Lenz, le personnage du texte de Georg Büchner. Faire résonner la forêt, faire entendre les voix en duo dans la tête, prises dans la glace et les rochers, faire vibrer les chants qui rythment cette échappée éperdue. C’est une terre qui a vu travailler le grand-père, le père et le fils. Le grand-père possédait la scierie, le père ingénieur, féru de poésie et de Schubert a dû reprendre l’entreprise familiale, le fils philosophe et musicien, métamorphosera l’héritage, croisera souvent Schubert dans la forêt du grand-père; ce même Schubert en figure tutélaire de l’album, repris piano-voix et en allemand.
Et maintenant qu’on a démonté la carte, admirons le paysage offert à nos oreilles. Attention, ça fait fort dans le rien à jeter, les titres rebondissant les uns sur les autres (avec aussi) pour envoyer une image complexe du monde qui prend dans de multiples cultures pour se dire boule à facettes, boule à penser, boule à danser aussi, avec toujours la poésie qui manifeste plus qu’elle ne dit et plutôt qu’offrir des univers finis, propose des scripts ouverts qui font le paysage en chatoyant au gré des images redoublés par la musique, comme lien et passage.
Ici, on danse, ici on rit, ici on vit. Premier vrai disque d’après confinement qui dit vraiment quelque chose d’un monde dont on ne parle jamais plus; un monde d’appartenance qui ne se regarde pas en regrettant le passé, mais fait d’un même mouvement histoire et vie, passé et futur, monde en mouvement qui n’a pas oublié d’où il vient pour en raconter la légende. Du Chant des pistes, à Lenz, en passant par Bleu Bac et finir dans la Chambre. La pensée désespérante que tout n’était que son rêve s’ouvrit devant lui (Lenz2). Zappa disait qu’écrire sur le rock c’était comme danser sur l’architecture. Dansons maintenant …
Jean-Pierre Simard le 26/06/2020
Rodolphe Burger - Environs - Dernière Bande/PIAS