Le luxe revendicatif du ghetto de Westside Gunn pendant la fashion week
Une prière pour Paris, en pleine fashion week, de la part d’un rappeur de Buffalo, l’eusses-tu crû ? Hé bien, c’est une des grandes réussites de ces derniers mois. Et ça prend la forme d’un comparatif entre sa ville natale et la Ville Lumière, aussi inattendu que trans-frontière et culture-mix; pour le meilleur.
C’est à l’occasion de cette semaine si spéciale – qui est, outre l’aspect idéaliste débordant de l’événement, le premier voyage du rappeur – que son troisième album a été entrepris, retranscrivant l’énergie de la ville. En revanche, le projet a rapidement évolué : du shopping dans les boutiques les plus grandiloquentes de la capitale, aux rencontre avec ses fans de la première heure devant le Louvre, jusqu’à sa présence présence au défilé Off White avec, en guise de fond sonore, sa voix si caractéristique. La saut d’un titre à l’autre et d’une occupation à un autre en faisant le sel, avec une foule de très estimables invités, à commencer par ses acolytes de Griselda et en n’oubliant ni DJPremier, Freddie GIbbs, Roc Marciano, The Alchemist, Joey Bada$$, Tyler The Creator & Billie Essco. Et d’ailleurs …
L’album s’ouvre d’ailleurs par les résultats de la vente du Salvator Mundi de Léonard De Vinci vendu à 453 millions $, après avoir jeté un œil sur ma pochette qui revisite de l’oeuvre du Caravaggio sobrement intitulée David avec la tête de Goliath” à la sauce du graphiste Virgil Abloh, l’homme aux multiples facettes.
Ici, on parle d’art de traffic de dope d’un même élan; le premier figurant le passé et la sortie de l’ornière, comme PNL l’a fait longuement - et l’art se positionnant juste après, comme une envie/lumière de faire autre chose, d’exister pour autre chose. Pas mal pour un Westside Gunn qui rappait auparavant sur les rats, de nuit, qui courraient dans les conte-allées des coins les plus crades de Buffalo. Mais c’est aussi un album de mue qui le voit passer avec sa clique de derniers des hard rappeurs : éduqués par la violence d’une ville morbide envahie par la crasse de la pauvreté et de ce qu’il en suit, les protagonistes décrivent leur implication totale dans des activités douteuses, sur des productions poisseuses. A aujourd’hui, où le passage dans ce long et sombre tunnel prend définitivement fin, l’entreprise familiale faisant face à des pluies élogieuses. Les voilà donc, en direction de la route lumineuse du succès après les galères.
L’album est d’une dualité troublante et forme un beau kaléidoscope et de thématiques et de productions diverses, mais avec beaucoup de sommets. Westside Gunn pratique bel et bien l’art. Il s’adapte aux instrumentaux pour des flows lents et chantonnés comme sur « Allah Sent Me » ou « French Toast », n’hésite pas à mettre en avant le talent des siens (Boldy James dans « Clairbone Kick ») avec toujours, un sens travaillé de la rime. Plus qu’un simple « Euro Step », Pray For Paris se dessine davantage comme un dunk reverse en plein all star game. A mi-chemin entre sortie d’underground et entrée dans la lumière éblouissante du succès, Pray For Paris figure d’entrée dans le top ten de l’année. Et, comme il a de quoi filer des bubons à Eric Zemmour, puisqu’il parle d’undergound qui s’en sort, d’islam et de combines hasardeuses qui permettent de sortir de la mouise… On ne peut qu’apprécier le rêve devenu réalité parti de quelques mixtapes comme celle-ci …
Jean-Pierre Simard le 12/06/2020
Westside Gunn - Pray For Paris - Griselda Records