"Voir Naples et mourir" sans Goethe, mais avec Sam Gregg
Ces portraits de Napolitains donnent l'impression d'être des photos de plateau : chaque personnage y prenant vie dans un seul cadre et prêt à raconter une drôle d’histoire. Le projet napolitain de Sam Gregg, ici expliqué par lui-même.
Mary, Le quartier espagnol, 2017. Mary est connue dans la société napolitaine comme une "femminiello". Bien qu'à première vue, elle semble être transsexuelle ou transgenre, il est réducteur de placer les "femminielli" dans cette catégorie, car elles ne revendiquent pas un genre spécifique. Les "femminielli", au contraire, pourraient être considérées comme une expression de genre particulière, malgré le binarisme sexuel répandu. Sam Gregg
Voir Naples et mourir.
-(1786) Johann Wolfgang Von Goethe, Voyage en Italie. Pendant l'âge d'or de la domination espagnole des Bourbons, Naples était considérée comme l'une des villes les plus opulentes et les plus charmantes du monde. Nombreux sont ceux qui ne pouvaient la quitter, sauf à leur décès.
Dans un contexte moderne, cette phrase peut être lue comme une référence ironique à la violence des gangs de la ville, dont on a trop parlé. Alors que les étrangers peuvent associer cette phrase à la présence de la Camorra et glorifier l'idée de violence et de crime organisé, ils ne la comprennent qu'à travers l'objectif de la télévision et du cinéma. Pour moi : Voir Naples et mourir est d’une lecture beaucoup plus complexe.
Gianni, son pitbull Brown, et Jesus, Le quartier espagnol, 2019. Je ne peux m'empêcher d'établir un parallèle avec le sort des pitbulls et celui du peuple napolitain, qui sont tous deux profondément incompris en raison des actions irréfléchies de quelques élus. C'est peut-être la raison pour laquelle ils ont une telle affinité les uns avec les autres. Cette photo a été prise quelques jours seulement après qu'un pitbull ait été injustement abattu par un policier local. Sam Gregg
Pendant un an, j'ai été guidée par les habitants au cœur de cette ville aux multiples facettes où l'excentricité prospère, où les vêtements flamboyants s'accompagnent de machisme et où la politique des genres est à l'opposé de ce qui est attendu. Mon projet se concentre sur quatre zones du centre de Naples, historiquement riches et contemporaines, qui sont instables : Forcella, Quartieri Spagnoli, Rione Sanità et Santa Lucia. Pendant un an, j'ai été guidée par les habitants au cœur de cette ville aux multiples facettes, où l'excentricité prospère, où les vêtements flamboyants sont associés au machisme et où la politique de genre est à l'opposé de ce qui est attendu. Ici, où d'autres recherchent des caricatures facilement identifiables comme "le patron brutal", j'ai vu des gens remplis de contradictions et des troubles et joies de la vie quotidienne.
Sanità Boys, Lido Mappatella, 2017. Une paire de jeunes Napolitains typiquement turbulents. Sam Gregg
J'ai été invitée à partager des aperçus de leur vie privée, et j'ai lentement compris que voir Naples entièrement prendrait en fait une vie entière, ce qui donne peut-être un nouveau sens à l'expression Voir Naples et mourir. Ce projet a effleuré la surface de mes expériences et, à bien des égards, il constitue le début d'une enquête en cours sur l'une des villes les plus vivantes et les plus mystérieuses du monde. - Sam Gregg
Salvatore, Lungomare di Santa Lucia, 2018. Les napolitains ont des visages parmi les plus frappants que j'ai jamais vus. C'est certainement le résultat d'un passé colonial mixte, de véritables difficultés économiques et des vents salés et répugnants de la Méditerranée. Sam Gregg
Né en 1990, Sam Gregg est un photographe londonien spécialisé dans le portrait et le documentaire. Son intérêt particulier pour les communautés marginalisées et dépossédées, l’amène à travailler la fois immergé et retiré, se posant dans des environnements complexes afin de construire des récits en reflet qui en rendent la complexité, en focalisant sur les aberrations du système et les individus qui vivent cachés en marge. Il tente de démonter les stéréotypes existant plutôt que de glorifier les situations difficiles. Cherchant toujours à s'asseoir avec ses sujets, afin de connaître leurs histoires telles qu'ils souhaitent qu'elles soient racontées plutôt que la façon dont la société cherche à les modeler ; son travail est une quête pour perturber et remettre en question les tabous, célébrer les valeurs humaines universelles tout en étant honnête sur les structures sociales et les médias, qui peuvent enfermer et stigmatiser les gens plutôt que les sauver ou les libérer.
Gennaro, Rione Sanità, 2019. Gennaro est un ancien caïd de la contrebande de cigarettes qui est très fier de sa façon de s'habiller, changeant souvent de costume deux à trois fois par jour. Il me dit avec un sourire ironique : "C'était différent à l'époque. On faisait les choses avec classe". Sam Gregg
Mère et fille, Rione Sanità, 2019. Cette image a été prise à l'époque où les supporters de football italiens étaient confrontés à de nouvelles accusations de racisme. Cette mère, avec la tête de sa fille adoptive posée sur ses épaules, m'a dit fièrement : "Nous, les Napolitains, nous ne sommes pas racistes". En raison de leur passé colonial mixte, les Napolitains sont certainement beaucoup plus ouverts d'esprit en matière de race que certains de leurs homologues. Sam Gregg
Jeune fille et sa poupée, le quartier espagnol, 2018. Dans une société où, malheureusement, les rôles traditionnels sont encore attendus de beaucoup de femmes, les instincts maternels commencent tôt. Sam Gregg