Les Figures, y a pas que ça de Maboul, chez Aksak

On ne va pas parler d’une compagnie d’assurance au nom assez proche, mais du retour d’un groupe belge reconstruit autour du duo/couple Marc Hollander et Véronique Vincent qui a fait ses début en 1977. Aksak Maboul qui, après deux petits tours magistraux avait disparu des écrans, pour fusionner avec les Tueurs de la lune de miel. Et disparaitre, à leur tour, lassés en 1985.

Ce n’est pas par inactivité forcenée qu’Hollander et Vincent se sont fait discrets, les deux ont eu ensemble une fille Faustine qui, aujourd’hui joue et réalise avec eux, quant à l’heureux papa il est aussi le producteur de quelque 350 albums sur Crammed Disc (les disques de Marc) qui nous ont tous permis de découvrir aussi bien Tuxedomoon que Minimal Compact, que la série Made To Measure, genre de refuge multicolore pour toute musique hors norme et hors catégorie ; de celles du monde du Brésil à l’Ethiopie, en passant par minimalisme, néo-classique, avant-garde et musique dites de théâtre ou de ballet, en passant par tous les azimutés de la portée et les bizarres notoires. Un label tête-chercheuse en continu qui a su rester pointu au fil du temps, en intégrant nouvelles musiques et sonorités déviantes pour durer et tisser son propre fil de celle qui compte.


Mais, durant les premières années d’existence d’Aksak Maboul, il y a surtout deux albums marquants et hautement recommandables : Onze danses pour combattre la migraine (1977), sorti par deux jeunes musiciens belges qui se font appeler Aksak Maboul (alias Marc Hollander & Vincent Kenis), dans lequel ils fusionnent et déconstruisent avec humour toutes sortes de genres pour créer leur propre univers musical. Trois ans plus tard, Hollander fonde le label Crammed. De nombreux ingrédients entrent et sortent du mixeur Aksak : faux jazz, électronique, musique africaine et balkanique imaginaire, minimalisme... il y a même des aspects pré-techno tels que Saure Gurke et son motif caractéristique de coups de clavier qui se retrouvera mystérieusement dans de nombreux morceaux techno classiques de Detroit une dizaine d'années plus tard. Onze Danses est devenu un album culte, et semble rétrospectivement avoir tracé la voie des différentes directions qui ont été explorées par Crammed au cours des deux décennies suivantes. Il est suivi en 1980 par Un peu de l’âme des bandits qui pousse l’expérimentation plus loin dans la forme. Contenant des sections écrites complexes, de l'improvisation libre et une grande variété d'éléments, Bandits a été enregistré avec un groupe composé des vénérés musiciens britanniques Fred Frith & Chris Cutler, qui ont rejoint le line-up d'Aksak de l'époque, composé de Michel Berckmans, Frank Wuyts, Denis Van Hecke et Hollander, plus la chanteuse invitée Catherine Jauniaux. Un peu de l'âme des bandits est décrit par All Music Guide comme "un sommet du mouvement RIO" (RIO étant Rock In Opposition, la coalition radicale pan européenne de groupes de la fin des années 70, dont Aksak Maboul faisait partie). L'album a atteint la troisième place du top 10 des albums européens du NME en 1980 (aux côtés de Yello, The Nits, Steve Reich et Faust. Il est ressorti en 2018, avec des titres sur lesquels on trouve tous les membres des diverses incarnations. Un autre projet, conçu au milieu des années 80 : Futur, sera abandonné, avant d’être repris et sorti en 2014 sous le titre Ex-Futur qui relancera la carrière du groupe avec Marc et Véronique, accompagné de nouveaux intervenants et leur donnera, après tournées, l’idée de l’actuel Figures.

Puisant à nouveau dans les multiples sources qui ont toujours inspiré le groupe, Aksak Maboul les transcende et les reconfigure avec son style inimitable, pour créer une œuvre impressionnante, riche et inclassable, en un double album, ici intitulée Figures ( en anglais chiffres) écrit, conçu et produit ces deux dernières années par Marc Hollander et Véronique Vincent (ancienne chanteuse des Honeymoon Killers). Soient 75 minute où les aficionados du groupe vont s'engager dans une écoute profonde pour profiter du puzzle/ mille feuilles qui leur est présenté. Tissant en toute transparence une instrumentation électronique et acoustique, une improvisation et une programmation, des chansons, des beats, des objets trouvés et des collages sonores, l'album fonctionne comme un labyrinthe, plein de passages secrets et d'interconnexions. On va y revenir plus loin… 

Véronique Vincent & Marc Hollander ont écrit l'album ensemble et en miroir, genre dos à dos, en suivant des parcours parallèles avec leur propre logique interne respective, tout en restant étroitement liés. Enigmatiques et finement ciselés, se nourrissant de son amour pour la peinture et la littérature, les textes de Véronique forment un tissu dense qui reflète le kaléidoscope sonore assemblé par Marc, qui a écrit et arrangé toute la musique (à part un morceau co-écrit et chanté par Véronique et Julien Gasc). Véronique a également réalisé les dessins et peintures qui illustrent la pochette et les encarts. Les deux protagonistes ont enregistré la plus grande partie de l'album dans leur propre studio, avec la participation des jeunes membres de l'actuel line-up live d'Aksak Maboul : Faustine Hollander (basse, chant, co-production), le guitariste Lucien Fraipont et le batteur Erik Heestermans. Plusieurs amis et invités se produiront également, dont le vénéré improvisateur Fred Frith, Steven Brown de Tuxedomoon, les membres d'Aquaserge (Julien Gasc, Audrey Ginestet & Benjamin Glibert), d'anciens membres du groupe (dont Michel Berckmans et Sebastiaan Van den Branden), et plusieurs autres.

Pour le chroniquer, on va faire court ( ha oui ?) et affirmer qu’Aksak Maboul en musique, c’est un peu comme Thomas Pynchon en littérature, à raconter l’Histoire underground de ce qui n’est pas advenu, une pop (entendre là une registre musical en perpétuelle évolution façon Beach Boys ou Beatles - , qui se sert de tout ce qui passe à portée pour dire les choses autrement. Et ajouter que cette francophonie belge, comme Magritte ou Michaux est bien la seule à tirer un lien entre les époques de la chanson française des 60’s à aujourd’hui - comme autrefois Ferré avec Zoo ou Barricades, vers les avatars du XXIe siècle comme Aquaserge ou Areski /Fontaine et Bashung. Comme l’expression de la remontée d’un non-dit qui serait passé à côté de la véritable variété verdâtre qui occupe depuis toujours les charts - et nous en détourne enfin par son retour inopiné. C’est copieux, barré, foutraque, labyrinthique ; mais on s’en tape, parce que le plaisir est durable - et renouvelé… On adore et on vous le recommande chaudement. Vous savez ce qu’il vous reste à faire avec cette tentative de démontage des clichetons au pistolet à clous qui dure depuis les Honeymoon Killers, y entendre le non-dit d’un monde plus ingénu, surréaliste qui croit autant à la beauté et la création qu’au rêve et à la liberté de vivre et de créer. Banco !

Jean-Pierre Simard le 25/05/2020
Aksak Maboul - Figures - Crammed Disc

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