Rone envisage la crise en grand avec "Room With a View"

Room With a View est l’album qui fait entendre un monde en surchauffe, la crise climatique qui chamboule nos existences et la fin du rêve capitaliste. Une œuvre sombre qui parle de l'effondrement de nos cadres de vies traditionnels et qui questionne ce qui adviendra après ces apocalypses. Le premier album post-confinement est là … 

Après 2017 et sa célébration de la fête sous acid de Mirapolis, (le spectacle écrit pour le Châtelet) Room with a view se déroule dans une carrière de marbre où des danseurs évoluent dans un univers minéral qui porte en lui les souvenirs du passé mais qui promet de nouvelles constructions, de nouveaux imaginaires à tailler dans des utopies qui ne demandent qu’à exister et être créées. Projet aussi politique qu’écologique, Rone avoue que chaque album est une espèce de photographie, un instantané d’une période. Il y a même davantage de fond avec les clips de l’album, chacun tourné par un réalisateur différent, mais en gardant un fil rouge commun. En plus de Ginkgo Biloba, deux autres clips vont former un triptyque autour du thème de la sur-consommation. On rappelle que Rone est un ami d’Alain Damasio qu’on entend même s’exprimer sur un titre et que son projet est bien de radiographier des moments mais, à l’inverse des Cassandre et autres chiens de garde, pour en saisir autant l’urgence autant que le fun d’un horizon à déboucher.

A la demande du Théâtre du Châtelet, Rone a envisagé un spectacle avec La Horde qui gère le Ballet de Marseille avec ses 18 danseurs et a voulu réaliser une ouvre collective ; adaptant et changeant ses compositions pour donner du champs à l’expression des danseurs; quitte à enregistrer des bribes de conversation et des bruits ambiants avant de les intégrer aux titres. Pour cela, il a allongé ses titres, les as simplifié et obtenu d’eux une plus grande efficacité qui l’étonne même.

J’adore cette phrase de Marguerite Duras : ”Plus on est personnels, et plus on a de chances d’être universels.” Quand on va chercher des trucs profondément en nous il y a des chances que ça touche des personnes qui nous ressemblent, etc. J’essaye de faire un travail d’introspection quand je fais de la musique, c’est pour ça que je pense que c’est bien de se couper du monde, de ne plus écouter de musique non plus, de ne plus regarder la télé. Et après par contre de tout lâcher, partager avec les gens. C’est pour ça que j’adore les concerts, les tournées, les foules, et que là ça commence à me manquer. Déclarait-il à France Musique, il y a peu.

Ma petite fierté sur ce spectacle est d'être parvenu avec les danseurs à faire exprimer pleins de choses sans dire un seul mot, sans que l'on ait à parler. (...) Ils parviennent à exprimer des choses peut être plus efficacement parfois qu'un long discours. (...) J’aime l'idée que, dans une société très bavarde, on parvienne à dire des choses sans forcément parler.   

Donc, à l’écoute de l’album, il va peut-être vous manquer une dimension gestuelle propre au spectacle, mais l’ami Erwan l’a réintégrée dans la production. Il y a un morceau de l’album qui s’appelle Nouveau Monde et c’est fou parce que j’ai l’impression que l’actualité nous a complètement rattrapés. J’ai posé des titres comme ça, un peu instinctivement, Nouveau MondeEsperanza… Et ils prennent un sens très spécial durant ce confinement. Comme dans le spectacle, où j’avais l’impression qu’on faisait un truc presque de science-fiction, avec personnages qui ont des masques à gaz, et dans les dernières représentations il y avait des gens avec des masques dans la salle, ça faisait vraiment miroir. Il y a un côté irréel, parfois tu te dis que c’est un cauchemar. Mais je pense que le retour à la vie va être fort et intense. 

En taillant dans le vif des compostions, en y intégrant paroles et bribes de discours, et en organisant la production de l’album pour rendre certains effets du spectacle, Rone change de braquet. Après avoir démontré qu’on pouvait rêver sa vie en la dansant, il démontre ici qu’on peut aussi penser l’avenir à partir de ses décombres et sereinement le dire et l’envoyer à la face du monde. Grâce lui en soit rendu… c’est une bande-son de l’après. Et c’est bien la première.

« Nous nous reconnaissons dans l’appel, lancé par l’écrivain de science-fiction Alain Damasio, à mener « une guerre des imaginaires » : une guerre contre tout ce qui appauvrit les possibles et étouffe les utopies politiques qui tentent de réinventer le monde », peut-on lire dans la note d’intention du collectif (La)Horde et de Rone. Ainsi soit-il !

Jean-Pierre Simard le 27/04/2020
Rone - Room With a View - InFiné