N’éteins pas mon feu, laisse-moi brûler par Pilar Albarracin
Depuis les années 1990, Pilar Albarracin se met en scène dans des performances qui dénoncent, à partir des clichés de la culture populaire espagnole, les archétypes et la violence d’une société machiste avec distanciation, humour et ironie. Chez Vallois, elle propose sa semaine sainte avec cierges et broderies. Amen !
Pour ce faire, elle radiographie d’une manière viscérale le folklore, la culture populaire et vernaculaire andalouse. Du flamenco aux rituels catholiques, en passant par la tauromachie et l’art baroque, l’artiste prend chacune des traditions à bras le corps en en changeant poses et virtualités. Elle réclame ainsi la part d’histoire collective des femmes dans un pays machiste. Avec une colère non feinte, elle exagère, multiplie, déplace, agresse ou même étrangle les stéréotypes et les traditions ancestrales. En cela, elle s’approprie les costumes, les accessoires, les symboles et le décorum de rituels où les hommes et les femmes sont cantonnés à des rôles spécifiques. Les actions, les photographies, les broderies et les objets détournés visent à une déconstruction de ces rôles et à une prise de conscience des manques, des absences et des interdits, en un retournement de gant qui en montre les coutures sales et mal terminées.
En interrogeant les pratiques rituelles de la Semaine Sainte, elle met à jour tous ses sous-entendus en procédant par gestes blasphématoires, y désignant les faux-semblants de l’oppression et de l’étouffement générés par les idéologies et l’idée d’une identité espagnole séculaire. L’artiste s’appuie sur les codes de l’art baroque pour dramatiser les gestes, les émotions, les postures et les objets. Elle se joue de la dimension fortement théâtrale des rituels religieux pour créer à son tour des images dotées d’un pouvoir symbolique puissant. Elle y tend un miroir à la violence inhérente aux systèmes autoritaires contre lesquels elle lutte, à la manière des féministes des 70’s qui disaient déjà en parlant d’auto-détermination : “ Mon corps, mon choix.” Au moment où l’extrême-droite et ses fantasmes régressifs/machistes font une remontée spectaculaire, c’est comme un baume aux yeux par rapport aux discours dominants/vagissants actuels.
Orlan avait choisi la chirurgie pour agir de la sorte, comme Cindy Sherman la photographie costumée, Nikki de Saint-Phalle les nanas et Annette Messager l’infini du tricot; mais, avec Pilar Albarracin, on assiste à une mise en pièces et en scènes de poncifs régressifs mis à nu par leur célibataire. Même !
Jean-Pierre Simard le 5/03/2020
Pilar Albarracin - N’éteins pas mon feu, laisse-moi brûler ->11/03/2020
Galerie Vallois - 36, rue de Seine 75006 Paris