L'Aphorisme entre quotidien et songes remarquables de l'Obstination du liseron
L’art de l’aphorisme, légèrement et joliment expliqué et illustré, entre la vieille voisine toujours impeccable et le assez rigolé.
Depuis 2007 et ses « Expertises », Olivier Hervy nous enchante régulièrement de ses recueils d’aphorismes, construisant au fil des années un extraordinaire clin d’œil au long cours, qui rivalise aisément de machiavélisme discret, quoiqu’utilisant le plus souvent des registres fort différents, avec le grand « L’autofictif » d’Éric Chevillard et ses nombreux volumes annuels. « Agacement mécanique » (2012), « Formulaire » (2014), « En bataille » (2016), « La chauve-souris se cogne un mètre avant le mur » (2019), « À côté » (2020) : autant de possibilités de se plonger avec délices dans cet art bien particulier qui feint l’immersion absolue dans le quotidien, le banal ou l’infra-ordinaire pour mieux y détecter les songes savoureux susceptibles d’entrer en résonance avec nos préoccupations, même ignorées.Le septième recueil en date, « L’obstination du liseron », publié aux éditions Cactus Inébranlable en mars 2020, ajoute une délicate touche pédagogique – mais pas uniquement, il y a bien à l’œuvre ici une véritable poésie de la note d’accompagnement – nous proposant, comme l’indique le sous-titre du volume, de nous immiscer « dans les coulisses de l’aphorisme », de jeter un œil sur les rouages de la fabrique, puisque Olivier Hervy fait suivre ou précéder presque chaque fusée d’artifice d’un bref commentaire illustrant la genèse ou la parenté dudit aphorisme.Certains lieux ou certaines situations autorisent des comportements interdits ailleurs. Une source à ne pas dédaigner pour l’aphoriste.
P. qui est diplômé d’Etat en boxe et également professeur de français, me dit qu’il a parfois un de ses élèves en face de lui sur le ring. Seul enseignant qui peut frapper un de ses élèves impunément.(…)Il n’est pire voisin que le bricoleur ! Il faut savoir user d’astuces pour avoir le silence.
« Demain j’attaque le ponçage à l’aube, sauf imprévu ! » me dit mon voisin bricoleur ce vendredi soir. Malheureusement, ce matin ses quatre pneus sont crevés.(…)Toutefois, ne pas en abuser, de l’oxymore.
La sentinelle est un contemplatif actif.
Dans le quotidien, réel ou supposé, du documentaliste du Maine-et-Loire qu’est officiellement, entre autres, Olivier Hervy, on fera ainsi connaissance, au fil des prétextes à construction et abîme ainsi saisis, avec le voisin bricoleur infernal, avec la vieille-voisine-toujours-impeccable, ou avec le vieux voisin, souvent paradoxal. On explorera certains souvenirs d’enfance, certaines particularités géographiques locales, certaines sources enfouies brutalement exposées, et on n’exclura pas lorsque nécessaire l’une de ces « gentilles mauvaises fois » qui nourrissent à l’occasion et font le charme du mot heureux (le badge de pharmacien, par exemple, est obligatoire en vertu de l’article L. 5125-29 du Code de la Santé Publique).
Pharmacienne, peut-on lire sur le badge de la dame qui me donne les médicaments derrière le comptoir. La fleuriste est ailleurs.
Peut-être plus surprenant encore, Olivier Hervy pourra de-ci de-là transformer un bref hommage littéraire en authentique aphorisme, et il en sera ainsi avec Julien Gracq, avec Henri Michaux, avec Georges Perros, avec Baldomero Fernandez Moreno, ou encore avec Louis Scutenaire, tandis que des incises nous éclairent aussi sur l’art des séries, sur celui de la transformation des lectures d’une situation, sur celui du glissement sémantique ou sur celui du paradoxe apparent. Concision, art de la chute, poétique de la rêverie à sens multiples : c’est à une bien belle démonstration illustrée que nous invite ici l’auteur.
Je me doutais bien que ce voisin un peu bizarre était un voyeur, pensai-je en observant la longue-vue posée sur un pied dans son salon au huitième étage de l’immeuble d’en face. Puis je repose mes jumelles.
(…)
Série Assez rigolé – 1
Assez rigolé. Il est temps de dire au lanceur de javelot qu’on a inventé l’arc.
Série Assez rigolé – 2
Assez rigolé, il est temps de dire à l’athlète qui pratique le saut en hauteur qu’on a inventé l’échelle.
Série Assez rigolé – 3
Assez rigolé, il est temps de dire au lanceur de marteau qu’on a inventé le canon.
Série Assez rigolé – 4
Parfois l’aphoriste a une bonne idée qui peut s’appliquer à plusieurs situations. Il ne s’interdit pas d’en faire une série, qui, loin d’affaiblir la note, lui donne plus de poids.
Assez rigolé, il est temps de dire à l’athlète qui pratique le saut en longueur qu’on a inventé le pont.
(…)
L’aphorisme est une proposition. De difficultés différentes, certains très simples, d’autres plus compliqués. Le lecteur doit accepter de ne pas tous les comprendre. Sans doute certains d’entre eux ne sont même compris que par l’auteur, car y entre trop de subjectivité. Il faut donc lâcher prise et accepter de ne pas tout maîtriser. Contrairement au roman policier ou au thriller où l’on doit retenir les dates et se souvenir de quel personnage quitte le salon dans la nuit avec un hachoir sanglant.
Même fatiguée, elle évite de poser la tête contre l’épaule de son ami athlète, spécialiste du lancer de poids.
Olivier Hervy - L'obstination du liseron - Collection Cactus, Éditeur : ACTES SUD
Charybde 2, le 30/03/2020
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