Kassa Overall est très très bon et le clame haut et fort
Pour son second album I Think I’m Good, Kassa Overall a signé sur Brownswood, chez Gilles Peterson. A croire que les musiciens qui ont une vision sont sûrs d’y trouver le meilleur accueil. Et de vision, le batteur/producteur n’en manque pas à s’offrir ici un voyage intimiste jazzo hip-hop qui sonne comme pas deux.
Mais le plus drôle, c’est son emploi détourné de Chopin, comme Gainsbarre avant lui, pour Jane B., sur Darkness in Mind à coller strictement à l’idée de la mélancolie - on ne sait toujours pas s’il s’agit de la disparition de la Pologne à l’époque, ou d’un méchant chagrin signé Georges… Pour le reste, il navigue à l’instinct, à vue et propose son idée d’une certaine actualité politico- musicale - celle que les auditeurs de Radio Nova entendent la nuit; en tissant/recousant une histoire du son qui met en avant tous les bonheurs, sans chapelle ni igloo, avec l’impossibilité de sortir du grand mix, comme ils disent… A vrai dire, il existe pas d’autre bonne manière d’écouter/entendre/suivre la musique qui a son histoire, loin des charts only playlists.; la seule intéressante - et pas que pour nous.
Les Américains, un peu crétins, du New York Times parlent d’un musicien de la Renaissance (actuelle, du jazz et des musiques improvisées) comme si la renaissance d’Harlem n’avait pas déjà un siècle au compteur. C’est navrant, mais la suite est mieux qui affirme : à la fois un batteur de jazz au funk et à la maîtrise unique, et un MC et producteur au talent singulier. On est bien raccord !
I Think I’m Good est une fenêtre sur la vie bipolaire de Kassa Overall, aux prises avec l’enfer du système carcéral américain, et les aléas et risques des relations amoureuses… Le musicien de jazz, batteur, producteur, rappeur et chanteur originaire de Seattle confronte les réalités du quotidien à ses épisodes maniaques, qui l’ont contraint à une hospitalisation alors qu’il était étudiant. Les thèmes de l’incarcération et de la claustrophobie reviennent tout au long de l’album, sans pour autant gommer le sentiment d’un espoir fragile mais vital. Ni celui de voir le bout du tunnel ( musical, Trump n’est pas encore mort - même politiquement) et d’en faire un canevas viable au fil de l’album qui est renforcé par la présence de la nouvelle garde new-yorkaise : Joel Ross, Morgan Guerin, Julius Rodriguez, Melanie Charles, J Hoard. Mais aussi de noms confirmés tels que Sullivan Fortner, Brandee Younger, Theo Croker, Craig Taborn, Aaron Parks ou encore Vijay Iyer, qui rend ici sur Was She Happy (écouter plus bas) un magnifique hommage à leur mentor musical commun, Geri Allen, avec qui Overall a joué pendant 7 ans. Dr. Angela Davis, figure légendaire de la communauté afro-américaine, fait une apparition remarquée sur les thèmes de la condition humaine et de la justice sociale (“Show Me A Prison”) - entendre plus haut.
Et on termine sur ses méthodes de production - pour le fun - offrant une approche atypique du hip hop, du jazz et de la soul, il utilise un processus minimaliste pour capturer la musique en direct et faire son montage dans son laboratoire de création, suffisamment léger pour qu'il puisse l'emmener partout. Il définit sa musique par le terme de backpack jazz et se voit comme "un musicien de jazz, un rappeur de sacs à dos et un producteur de chambre à coucher". Musique de chambre à coucher peut-être, mais jazzo hip-hop de pointe à tendance soul, le kif total quoi ! Acclamé partout, on ne sera pas en reste : Viva Kassa !
Michel Bakou-Nîmes le 3/03/2020
Kassa Overall - I Think I’m Good - Brownswood Records