Passé sous le radar - Radiohead déjoué par Paolo Angeli

Comment attirer le rock expérimental de Radiohead sur un terrain d’eux méconnu est le pari tenu haut l’archet par Paolo Angeli et sa guitare sarde préparée. Ce subtil et passionnant 22.22 Free Radiohead est un possible auquel personne n’avait jusqu’ici pensé - et un excellent album sorti l’an passé - on y revient ce matin.

Il y a presque autant de cordes à l'archet du guitariste Paolo Angeli que sur son instrument personnalisé. Ethnomusicologue, chercheur et directeur de festivals artistiques internationaux, Angeli joue en duo avec Hamid Drake, Iva Bittova et Fred Frith. C'est toutefois en tant que soliste que le guitariste sarde est probablement le plus connu. Dans cette suite solo d'une heure, Angeli réinterprète la musique des anglais de Radiohead, en y mêlant habilement des chansons folkloriques traditionnelles sardes et ses propres compositions.

Il est difficile de croire qu'il n'y a pas d’overdubs, c'est pourquoi les arrangements d'Angeli sont à plusieurs niveaux, mais là encore, sa guitare sarde préparée n'est pas un instrument ordinaire. Dix-huit cordes sympathiques disposées en deux rangées, celle du haut allant jusqu'à la tête d'un violoncelle ; des marteaux actionnés au pied reliés aux cordes primaires ; des moteurs internes qui activent de petites hélices qui tressent les cordes ; des sorties multiples ; et une boîte d'effets. Il suffit de dire que la guitare d'Angeli est une bête hybride - un croisement entre une guitare, une guitare baryton, un violoncelle et une batterie. La suite, jouée principalement en acoustique, avec quelques interjections électriques à l'archet, est mieux appréciée dans une séance ininterrompue. Angeli offre une gamme impressionnante de textures, de styles et d'émotions.

Les cordes rauques de "Vinagra" évoquent une vieille guitare battue provenant d'un magasin de bric-à-brac. Sur "Scatterbrain", son picking délicat est d'un ton néo-classique, tandis que sur "Ora Illegale", on retrouve une ambiance folklorique andine. Son jeu à l'archet n'est pas moins varié : à la manière d'un violoncelle sur l'intro de "Airbag", Angeli fait appel à un violon oriental sur "Teflon" et utilise fréquemment l'archet pour créer de puissants riffs électriques ou des paysages sonores de bourdons. Sur le plan rythmique et percussif, Angeli est tout aussi créative. L'effet de pinceau sur "Knives Out" pourrait bien être un sac en plastique sur un pied - un live typique pour le guitariste. Les rythmes flamenco sur le corps de la guitare colorent la section centrale de "Knives Out". Le plus souvent, la mélodie de la guitare, le rythme de la basse et les motifs des percussions fonctionnent simultanément - le tout sans overdubs. Ce n'est que sur "Kumquat" qu'Angeli a recours à des boucles. La suite est une prouesse technique impressionnante, mais surtout, Angeli transmet l'émotion des chansons de Radiohead, étrangement tristes, mais souvent édifiantes. Les souches folkloriques du sud de la Méditerranée et de la Sardaigne ne sont jamais loin de la surface. Angeli chante en dialecte sarde sur "Andira" et "Notti d'ea", des chansons traditionnelles du nord de la Sardaigne datant du XVIIIe siècle. Sa voix caractéristique rompt avec la suite essentiellement instrumentale, et son débit mélancolique et ardent se marie parfaitement avec le langage émotionnel des compositions de Radiohead. Les compositions du guitariste, qui s'enchaînent tout au long de la suite, sont de conception plus expérimentale, créant des atmosphères diverses qui s'accordent bien avec l'univers sonore éclectique de Radiohead.

Après deux ans de travail, 22.22 Free Radiohead est un travail d'amour saisissant. Dans son hommage très personnel à Radiohead, Angeli capture l'esprit de l'un des groupes de musique populaire les plus créatifs, tout en laissant sa propre marque inimitable, à chaque étape du processus.

Jean-Pierre Simard le 05/02/2020
Paolo Angeli - 22.22 Free Radiohead - ReR Megacorp