Wattstax 1972, la revanche noire sur Woodstock
L’Amérique blanche avait eu Woodstock en 1969 où figuraient bien Sly & the Family Stone ou Ritchie Havens et Hendrix, mais c’était minorer l’importance de la radicalisation des communautés noires qui se faisaient descendre comme des lapins par le FBI de Hoover. Alors, trois ans plus tard, Al Bell, vice-président de Stax organisa le sien dans un stade de foot à Los Angeles. Histoire d’une fierté en marche.
Et c’est un spécialiste de Zappa, Guy Darol qui s’y est collé, pour dire l’ampleur de l’événement, ses sources et sa postérité de plus en plus glaçante avec l’élection de Trump et le retour des théories des Birthers. (une bande d’empaffés d’extrême-droite dont le moto est que les blacks ne sont jamais originaires des USA, mais d’ailleurs - on se souvient de la cabale contre Barack Obama, accusé d’être né au Kenya, qui lui renvoya son complot au menton avec des preuves irréfutables…)
Pas vraiment un hasard pour, un fan de Zappa, puisqu’on trouvait sur le premier album des Mothers, Freak Out, en 1967, le titre Trouble Every Day qui parlait des émeutes de Watts en 1965, dont l’intro disait que Zappa se sentait honteux d’être un blanc dans un pays qui martyrisait la population black pour maintenir son contrôle sur les défavorisés, une rare prise de position politique à l’époque d’un musicien blanc en faveur des droits civiques, à peine votés et déjà battus en brèche…
Le premier intérêt de ce livre est de rappeler le contexte totalement ignoré du grand public, je cite : le premier Woodstock noir avait été réalisé par Tony Lawrence durant l’été 1969. Elle dirigeait le festival culturel de Harlem et avait monté un étonnant programme qui regroupait la plupart des hitmakers de l’époque. Le Woodstock noir, ainsi nommé par le réalisateur Hal Tulchin qui avait filmé l’événement, se déroula du 25 juin au 24 août, au Mount Morris Park de New York, sous la protection du Black Panther Party. Il matchait, dans une certaine mesure, le festival hippie de Bethel, que Richie Havens avait inauguré le 15 août. Tony Lawrence était parvenue à inviter B.B. King, The 5th Dimension, Mahalia Jackson, Gladys Knight and the Pips, Abbey Lincoln, Moms Mabley, Sly & The Family Stone, les Staple Singers, Stevie Wonder et bien d’autres noms qui verraient défiler, au fil des semaines, près de 300 000 personnes. Trois ans plus tard, à Los Angeles, dans le quartier de Figueroa, Stax offrait un nouveau chapitre à la Légende dorée des Grandes Musiques Noires. Musicalement, Wattstax brassait une pluralité de styles : blues, rhythm’n’blues, gospel, soul, jazz, funk. Politiquement, c’était le rendez-vous d’un public uni sous la bannière du Black Power, dans l’estime de ses propres valeurs et l’espérance de meilleurs lendemains. Et donc, toute la population noire de LA s’y était donné rendez-vous, comme le souligne les organisateurs, de quoi filer des idées aux stylistes pour des années, au vu du bariolé des costumes, de la présence de Jesse Jackson, Marcus Garvey Jr et surtout du Black Moses, Isaac Hayes dont le tube mondial Shaft était sorti l’année précédente, offrant une reconnaissance inusitée à un musicien noir… la fierté en marche - mais à cette époque-> dans le sens de l’Histoire.
Mais après l’intervalle qu’avait été ce jour de fête, l’embellie retomba. Le chemin qui s’ouvrait était toujours barré par des esprits récalcitrants. Les brutalités qui provenaient autant de la puissance policière que des membres du Ku Klux Klan, rejoints par ceux de la Fraternité Aryenne ou du Quatrième Reich, imposaient de nouveaux actes de résistance, de nouvelles stratégies.
Ce fut, au cours de l’année 2013, la naissance du mouvement Black Lives Matter appuyé par des artistes qui, à l’exemple de Wattstax, croisaient les rythmes et les rimes dans un déversement de clameurs salutaires. Les activistes utilisaient tous les moyens que le monde contemporain mettait à leur disposition : réseaux sociaux, diffusion de vidéos prenant le crime sur le vif, happenings, concerts improvisés, blocages de routes et de commerces, enregistrement de chansons à la ressemblance de brûlots.
Par la diversité de ses angles, Wattstax avait dégagé l’horizon en combinant la plupart des orientations musicales, et en mettant en scène la dénonciation des principes raciaux.
En espérant vous avoir donné envie d’en découvrir plus sur et autour de l’événement, sachez que l’album sorti en 1972 est toujours disponible, que le documentaire issu du festival est en version intégrale ici et que le batteur des Roots, Questlove est en train de travailler sur le montage des archives du Woodstock noir de 1969, à partir des archives laissées par Hal Tulchin, qui sera la matière de son premier long-métrage. Comme toujours, Black Lives Matter !
Jean-Pierre Simard le 2/03/2020
Guy Darol - WATTSTAX 20 août 1972, une fierté noire - édition poche, le Castor Astral