Avec “Ciao bitume”, Thomas Verhille cartographie l'entropie (mon amie!)
Dans un monde de merde ultra-plausible - tenez, le nôtre par exemple - deux jumeaux piquent une pelleteuse pour fuir la ville, leur foyer et une vie sans issue. Départ pour l’ailleurs, tout aussi merdique, mais plutôt vertigineux dans ses descriptions et son tragique immuable. Premier essai en solo de Thomas Verhille, Ciao Bitume croise Crumb et Lovecraft pour une fin du monde programmée. Claque !
L’argument : dans un monde qui semble au bord du gouffre, deux frères, las de leur vie urbaine, décident de fuir la ville et de prendre la route. Après avoir volé une pelleteuse en guise de véhicule, ils vont sombrer dans une suite d’engrenages de plus en plus désastreux, se retrouvant mêlés à une histoire de vengeance dont ils deviennent le bras armé, contre un sadique tueur d’animaux. dans une ambiance froide et suffocante, ce road- movie violent et peuplé d’images hypnotisantes, la quête de liberté de nos deux anti-héros se transforme rapidement en une fuite inéluctable, loin de la civilisation. Et cet inéluctable qui fait le récit donne une dynamique vrillée au propos, de cercles viciés en découvertes scabreuses, le récit va filer bon train vers un ailleurs toujours plus incertain et de plus en plus angoissant.
La méthode : le prodigieux travail graphique de Thomas Verhille, oscillant sans cesse entre le réalisme au trait de Burns ou Crumb et les géométries/architectures vertigineuses d’un Winsor McCay branché cauchemar qui serait associé à un Fred au monde en dilution constante se marie à merveille aux circonvolutions d'un récit oppressant où le drame est un acquis immuable et l’innocence refusée à tous les protagonistes, sans échappatoire. C’est la force du récit graphique surpuissant au service d’un scénario basique et en fuite qui joue le classique trio intrigue, développement, catharsis pour se donner à voir. Ici, on trouve un peu que le graphisme surpasse l’histoire. Mais on se dit aussi que ce créateur d’univers vraiment béton va sûrement bientôt trouver un équilibre entre son récit et son expression graphique et le conduite de son récit. Très belle claque graphique dont on attend la propagation dans les titres à venir.
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Thomas Verhille n’est pas le plus parfait inconnu : auteur issu de l’école de l’image d’Angoulême, il a participé à de nombreux collectifs graphiques ces dix dernières années. il a également publié planches et illustrations au sein de la petite structure éditoriale Chroma édition dont il est l’un des co-fondateurs. Ciao bitume est son premier ouvrage en solo qui suit Couverture #4, éd. la Chienne, 2016,Drozophile #8, éd. drozophile et Kouma, 2010, Poil superflu, auto-édition, 2009, ChromaComics - Chroma - ill Valley, Chroma éditions, 2007 à 2009 et en auto-édition : Nocturno, 2014.
Jean-Pierre Simard le 13/10/2020
Thomas Verhille - Ciao bitume - éditions Six pieds sous terre.