L'Invocation d'une Inde nouvelle par Karishma D’Souza

Ultra-narrative, la peinture de Karishma D’Souza, soigneusement composée, tente de refléter le tout dans une partie, et faire tenir l’univers sur une feuille de papier ou une toile. Chez Xippas, elle propose ses plus récentes aquarelles et peintures à l’huile qui appellent à l’action en ouvrant des portails vers d’autres rivages, temps et mondes. D’où l’invocation … 

Karishma D’Souza - Tiles 2011

D’origine indienne, Karishma D’Souza, née à Mumbai en Inde en 1983, vit et travaille à Goa. En s’inspirant du contexte culturel et politique dans lequel elle a grandi, elle fait surgir des formes lyriques, simples, presque naïves, toutes saturée de références à des réalités politiques concrètes et souvent violentes. Rien ne semble déranger la quiétude de ses scènes peintes ; cependant, l’harmonie qui leur est propre n’est qu’apparence. Et c’est la force de son œuvre de déployer, l’air de rien, des situations impossibles et une vie infernale; le commun des Indiens et Indiennes qui endurent en ce moment un gouvernement aussi crétin que religieux… 

L’aspect politique du réel contemporain n’est révélé que pour être sublimé dans la transformation poétique du monde. Pour parvenir à cette sublimation, l’artiste a puisé son inspiration dans la poésie soufie et dans les textes littéraires occidentaux, permettant ainsi un retour aux racines, à la pureté originelle des choses, à l’innocence du regard ; en d’autres termes, à l’universel. Ces récits sont là pour préparer un terrain sur lequel une simple histoire peut renouer avec l’Histoire, prendre racine et devenir un mythe. Cette dimension devient plus évidente de par la technique adoptée par l’artiste : des peintures à mi-chemin entre la vision religieuse, voire mystique, et poétique, que Karishma D’Souza crée, tout en traduisant des éléments archétypiques en métaphores visuelles contemporaines. S’inspirant des miniatures du Rajasthan, réalisées avec un pinceau très fin, l’artiste les réinterprète et les agrandit sans perdre les liens avec leur technique de réalisation initiale, aussi méticuleuse que détaillée.

Karishma D’Souza, Chai Stop: Sand Castles, 2016 Huile sur toile — 46 × 61,5 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Xippas, Paris. ( précédente exposition au même endroit en 2017)

Ce désir de l’artiste d’entrer en action se nourrit notamment du vif intérêt qu’elle porte à la littérature Dalit (la littérature des Intouchables) qui, passée sous silence par la propagande officielle, n’est pas enseignée à l’école. Les études approfondies de la littérature Dalit, les lectures de ses histoires touchantes soulèvent des questions d’effacement et d’oubli forcé. Elles incitent l’artiste à ranimer des souvenirs, à rendre l’invisible visible d’abord pour elle-même, en poursuivant les lignes directrices du mouvement littéraire Dalit selon lequel la littérature, ou toute autre forme d’art, devrait être engagée politiquement et encourager l’action. Cela semble encore plus crucial dans ses œuvres les plus récentes (ses travaux plus anciens sont, selon l’artiste, plus proches de décors). Aujourd’hui, alors qu’elles sont devenues encore plus complexes et narratives, ses peintures commencent à incarner le mouvement et l’action, elles “invoquent” — Invocation. Les œuvres fonctionnent comme des chants ou des prières: l’acte au lieu de l’objet. Après tout, une prière, n’est-elle pas un dialogue intérieur? Et dans ce cas, pourquoi une peinture, considérée comme une prière de rédemption ou un chant, ne serait-elle pas une forme de conversation silencieuse? Pour reprendre la formule de l’artiste — “Pour partager, pour réfléchir ensemble”. “Pour mieux comprendre”. Enfin — pour se souvenir.

Karishma D’Souza, Skowhegan, 2018. Aquarelle sur papier — 28 × 34,5 cm. Courtesy of the artist and Xippas.

Alors qu’ici, on voudrait nous faire croire que le catholicisme est une religion d’Etat ( mais ce ne sont que des vieux souvenirs de crétins au pouvoir qui rêvent de leur enfance et d’un monde disparu), c’est assez ironique qu’une Indienne détisse les mythes de son pays, en s’appuyant sur la culture et les pratiques de peinture ancienne, pour mieux signifier que ce pays n’en est plus là… Il y a bien eu ici et la Nouvelle figuration et Bazooka pour le dire, mais aujourd’hui , hein ? Seul le street art en témoigne … 

Jean-Pierre Simard le 24/02/2020
Karishma D’Souza - Invocation -> 1/04/2020

Galerie Xippas - 108, rue Vieille du Temple 75003 Paris

Karishma D’souza Shelf, 2010 Oil on canvas 22 x 27,5 cm ( précédente exposition au même endroit en 2017)