Sophie ou la gonflette queer de Camille Vivier
Camille Vivier a rencontré Sophie par l’intermédiaire d’un agent de casting il y a quatre ans. “Je cherchais une femme très athlétique pour un photoshoot”, raconte-t-elle. “Quand j’ai rencontré Sophie, non seulement j’ai été fascinée par son corps sculptural puissant, mais aussi attirée par son visage qui est doux, féminin et tendre.”
“J’avais l’impression que Sophie avait beaucoup à dire sur sa pratique du bodybuilding, car c’était une reconstruction d’elle-même aussi allégorique que physique.”
Le modèle Sophie incarne plusieurs des qualités que la photographe cherche à transmettre par son travail : la nature architecturale de la forme du bodybuilder résume à la fois le sujet et la dynamique de l’objet qui intrigue tant Vivier, tout en brouillant les frontières entre les notions préconçues de féminité et de masculinité. « J’ai senti qu’en se remodelant avec une motivation très intime, forte et personnelle pour se sentir bien et à l’aise avec sa propre image, Sophie remodelait les critères de ce que le corps féminin est censé être. »
Twist, le précédent livre de Camille Vivier a été une révélation à sa publication en 2018. Son univers lissé de beauté amazonienne, presque dépourvu de présence masculine, en faisait un des livres les plus intéressants de l'année. Là, se faisait jour, une nouvelle réalité dans laquelle des personnages féminins forts contrôlaient les cadres et les récits mythiques à l'œuvre, renouvelant les images précédentes des gangs de motards féminins comme des figurations usuelles de l'Amazonie.
En partie éloge de la mode, pour le rester célébration de la bad bitch, Twist a redéfini le paysage de la fantaisie et du discours féminin(iste) au sein d'un monde dominé par les hommes, sans malédiction ni jugement. L'artiste a simplement repris les choses en main en offrant des alternatives à examiner et étoffer. Et, à l'inverse des photobooks conçus par des hommes, au lieu de la malveillance et de l'effronterie, il engageait une conversation sur des agressions mesquines et simplistes, implicites à l'œuvre dans des projets similaires.
Fin 2019, Camille Vivier a publié Sophie chez APE, une étude singulière de son modèle. L'œuvre ressemble à Twist à bien des égards, mais marque une collaboration plus intense entre l’artiste et son modèle que celle à l’œuvre dans Twist. Le point de départ de Sophie est que le monde du roll-play et de la fantaisie existent toujours, mais au lieu d'une série de vacheries mises en avant, le livre s’attarde sur le parcours de Sophie dont le corps physique, reconstruit par de puissants efforts en salle de gym, électrise le concept du genre. Ses nombreux visages et rôles, dévoilés par l'utilisation de son corps, défient, réexaminent et nourrissent de nouveaux stéréotypes humoristiques de la femme fatale et de la déesse de la mode.Et le meilleur de tout cela est que Camille Verdier en arrive à égaler le travail de Robert Mapplethorpe sur Lisa Lyon. C’est dire le niveau. On adore !
Vivier reprenant le contrôle sur l'esthétique de l'horreur et du cheesy, elle entonne l'hymne de la culture trash, avec des citations de Conan le barbare lues par ses Golden Girls. En fait, Sophie est un Marvel comics qui joue avec le genre et sa morale : Se pâmer ou se perdre ! Pas mieux…
Jean-Pierre Simard le 3/12/2020
Camille Vivier - Sophie - APE éditions