Les Commencements primordiaux de Robert Smithson chez Marian Goodman
Redécouvrir chez Goodman l’œuvre du théoricien du land art et du minimalisme Robert Smithson est un bonheur. En 14 ans, Smithson a redéfini les notion de paysage, de lieu et d’œuvre dans l’art de manière radicale. Une occasion offerte avec ses travaux sur la nature archétypale des choses.
Primordial Beginnings met en scène l’exploration « des origines et des commencements primordiaux […], la nature archétypale des choses », comme le disait Smithson en 1972. Cette sélection méthodique d’œuvres sur papier illustre le travail de l’artiste en tant qu’« acteur géologique », pour reprendre ses propres termes. Avec une sorte de prémonition, il explore l’impact des êtres humains sur notre planète ; ses premières œuvres sont des peintures de paysages fantastiques aux accents de science-fiction ancrées dans une pensée géologique. Ces toiles de 1961, rarement montrées, annoncent ses œuvres de terrassement ultérieures, ainsi que ses projets en lien avec l’industrie. Entre 1961 et 1963, Smithson a réalisé une série de collages illustrant l’évolution d’amphibiens et de dinosaures. Paris in the Spring (1963) représente un garçon ailé juché sur un Triceratops, à côté de la Tour Eiffel, tandis qu’Algae Algae (ca. 1961-63) présente un mélange de peinture et de collages de tortues, dans une mer de mots d’un vert sombre. Aux yeux de Smithson, le paysage et ceux qui l’habitent sont en constante évolution. En 1969, il entama un travail sur des sculptures transitoires créées par le déversement de coulées, dessinant ces projets alluvionnaires pour mieux y réfléchir. La première coulée qu’il réalisa fut Asphalt Rundown, à Rome (octobre 1969), et la dernière, Partially Buried Woodshed, sur le campus de la Kent State University, dans l’Ohio (janvier 1970).
Une sélection de dessins liés à ces importantes sculptures événementielles est exposée dans Primordial Beginnings. Smithson concevait la sculpture comme étant limitée dans le temps et instable ; loin de se vouloir monumentale, elle devait intégrer l’entropie.
Autodidacte, Smithson avait de nombreux centres d’intérêt qui ont infiltré son œuvre : voyages, cartographie, géologie, ruines architecturales, préhistoire, philosophie, science-fiction et culture populaire. Au cours de sa vie brève et féconde, Smithson a produit des peintures, dessins, sculptures, projets architecturaux, films, photographies, textes, œuvres de terrassement, sans compter les recherches intermédiaires. Qu’il s’agisse de ses célèbres terrassements, de ses sculptures « quasi-minimalistes », de ses non-sites, écrits, propositions, collages, dessins de précision ou encore, de sa vision radicalement nouvelle du paysage, les idées mises en œuvre par Smithson sont d’une actualité brûlante. En explorant les limites conceptuelles et physiques du paysage, Smithson a initié un véritable questionnement sur notre place dans le monde, et sa pertinence s’est accrue avec l’imminence des dangers liés au réchauffement climatique.
Primordial Beginnings est couplée avec une autre exposition, Hypothetical Islands, à la galerie Marian Goodman de Londres. Ces deux expositions comportent des œuvres rarement montrées appartenant à la collection de l’artiste Nancy Holt (1938-2014), qui avait épousé Smithson en 1963 et a géré sa succession entre 1973 et 2014. Primordial Beginnings et Hypothetical Islands sont organisées en partenariat avec la Holt / Smithson Foundation, un fonds de dotation artistique qui a pour mission de maintenir vivant l’héritage créateur de Nancy Holt et Robert Smithson.
Jean-Pierre Simard le 23/12/2020
Robert Smithson - Primordial Beginnings -> 9/01/2021
Galerie Marian Goodman 79, rue du Temple 75003 Paris