"Electrorama", entremets franco-électronique avec 30 ans dans le rétro
Venant combler un vide notoire, l’équipe du magazine Tsugi a réalisé le bréviaire de la scène électro hexagonale : du premier DJ notoire Lucien Leibovitz aux expérimentations de Daft Punk et aujourd’hui Fakear. Le tour du propriétaire, de l’underground à la reconnaissance around the world. Avec les DJs, producteurs, clubs, labels, sous-genres ou figures majeures de ce mouvement musical, culturel et sociétal. Jolie somme.
Incidemment cet ouvrage montre comment en dehors des désirs calibrés des décideurs culturels, une culture est née, a grandi et essaimé là où personne l’attendait- sur le terrain de la musique et de ses diverses manifestations. Et, c’est en passant, une grand baffe aux actuels politiciens français dont le modèle culturel date de la France endormie du début des années 60, dont ils se revendiquent tous plus ou moins. Beaucoup plus indeed… L’historique de la culture techno ici présenté est une ode au démerdes-toi tout seul punk prolongé pour d’autres sons et par d’autres moyens jusqu’à faire sens mondialement.
La scène en question a non seulement rejeté le modèle variétoche ( les programmations radio tenues par des éditeurs de merde pour placer leur poulains crétins - et rien qu’eux) qui a fait de la France, la risée du monde pendant plus de trente ans ; mais aussi, avec la logique des labels et productions autonomes/indépendantes des années 70 ou 80, d’être allé négocier directement des contrats et des distributions à l’étranger sur la seule qualité des sons, ce que Garnier, Zdar ou Bob Sinclar affirmaient déjà au milieu des années 90.
Alors 30 ans plus tard, aujourd’hui même, alors que la culture qui ne rapporte rien aux grosses machines privée est déclarée inessentielle, cela pourra donner des idées à certains pour agir en dehors des cadres, à l’écart des arrêtés préfectoraux d’un autre âge ( je suis gentil là… ) et vouloir, plus que jamais vivre à côté d’un modèle rétrograde imposé par le haut et par des gens dont la lecture du monde moderne et de ses nouveaux objectifs sociétaux, écologiques et solidaires laisse pour le moins à désirer.
David Blot, organisateur à la fin des années 90 à Paris des fameuses soirées Respect au Queen, dont la volonté était alors "de faire entrer l’esprit des raves dans le confort des clubs", livre son vécu et sa vision de la french touch. Le nom Respect, signifiait avant tout, rappelle-t-il, "Respect à la scène française". "Notre volonté était de faire jouer cette génération qu’on n’appelait pas encore la french touch et qui à l’époque n’était pas programmée dans les clubs parisiens. Nous voulions leur faire partager les platines avec les DJ house internationaux qui nous fascinaient, comme David Mancuso ou Kerri Chandler." En réalité, "la french touch, c’était une bande de mecs, musiciens, journalistes, organisateurs de soirées, qui passaient leur vie ensemble. On allait acheter des disques l’après-midi chez Rough Trade ou BPM, on traînait à Nova ou FG et on se retrouvait aux mêmes soirées." Et il ajoute, "La musique qu’on rangeait sous l’étiquette french touch était très hétérogène. Dans le fond, la seule chose qui pouvait rapprocher Air, Daft Punk ou Phoenix, c’était un rapport commun à l’enfance."
Interviewé par Mixmag, Alexis Bernier, éditeur de l’ouvrage et directeur éditorial de Tsugi explique :
L’histoire de cette musique électronique est marquée par un côté très revendicatif, très anti système. Aujourd’hui, elle est partout : à la radio, sur Spotify, dans les grandes surfaces… Quelles barrières lui reste-t-il à abattre ?
C’est vrai qu’aujourd’hui, tout est électronique, jusqu’à la chanson française. Ca passe par la manière dont elle est faite, mais aussi dans le son lui-même : dans la pop, on peut parfois clairement distinguer des réminiscences d’Aphex Twin ou de Boards of Canada. En revanche, ce que je trouve intéressant, c’est que la musique électronique en elle-même est redevenue militante. Dans le livre, on fait le focus sur la scène queer, qui a été particulièrement importante pour l’émergence de la musique électronique, notamment dans les clubs gays. Il faut noter que le premier journaliste à parler de la musique électronique dans un média mainstream, c’est Didier Lestrade, dans les colonnes de Libération. Didier Lestrade qui est aussi le fondateur d’Act-Up, dont le slogan est « Danser = vivre ». La musique électronique, c’est la bande-son de la scène gay, de ses revendications, dans les années 1990. Et puis ça s’est un peu perdu avec l’arrivée de la French Touch : la musique a un peu changé, elle est devenue un peu plus hétéro, elle est sortie des clubs, a pris une teinte rock, notamment avec les Daft Punk et Justice. Tout ça a fait que la scène gay s’est un peu détournée de la musique électronique. Mais aujourd’hui, on y revient : grâce à des collectifs comme Barbiturix, la musique électronique est redevenue militante. Ils se sont emparés à nouveau de cette musique pour en faire un vecteur de contestations.
Et puis, lire ce livre, c’est remettre en route, en esprit du moins, ce qui nous manque le plus en ce moment covidé comme des bovidés, la danse, le partage, l’émotion. Cadeau utile pour le moins. Round the world again and again.
Jean-Pierre Simard le 23/12/2020
Tsugi présente - Electrorama, 30 ans de musique électronique en France - éditions Marabout