La carte plus grande que le territoire de l'Atlas des mondes imaginaires

Le structuralisme avait levé un lièvre en dévoilant que la carte n’est pas le territoire à qui voulait bien y regarder de près. Facile donc de proposer des mondes à partir d’icelles puisque sans, pas d’imaginaire visible, ni de monde à voir. Récit de quelques tentatives par un beau livre, très recommandable.

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A Eschtenburg, une fois franchi la rivière par le pont Tristan, traversé les jardins espagnols, longé les bâtiments de l’université, le dédale de petites rues de la vieille ville conduit au palais. A moins qu’on ne préfère déambuler sur la rive de l’Eschten jusqu’à la cathédrale et prendre le funiculaire, juste en face du parvis, pour contempler la cité du sommet du Rocher. Le plan indique tout, avec la plus parfaite netteté…

Seule particularité : cette promenade n’est possible que sur la carte. Eschtenburg est une ville imaginaire, capitale de la Razkavie, pays fictif dont Sally Lockhart, jeune Londonienne pauvre, devient la reine dans le roman à succès de Philip Pullman, La Princesse de Razkavie (Gallimard, 2004). L’auteur voulait un plan à l’ancienne, où l’on discerne les moindres détails, des ruelles tarabiscotées au café Florestan… Il s’en explique, dans l’Atlas des mondes imaginaires, en compagnie d’une vingtaine d’autres écrivains. Tous décrivent leur relation personnelle à ces vrais-faux documents, au milieu d’une iconographie souvent insolite.

« J’ai sagement commencé par une carte avant d’y écrire l’histoire », confiait Tolkien, en 1954. Le maître du Seigneur des anneaux était féru de ces planisphères fabuleux qui s’affichent réels, topographiant le royaume de Narnia et tant d’autres. Ces écrivains-géographes rêveurs forment une longue lignée. Elle rassemble notamment Swift pour Gulliver, Defoe pour Robinson Crusoé, Stevenson pour L’Ile au trésor, sans oublier Jules Verne, Faulkner… et une foule de classiques et de contemporains, oubliés ou populaires.

Les écrivains sont des créateurs de mondes. Le Pays Imaginaire, la Terre du Milieu, Narnia, la forêt des Rêves Bleus, l'île de Robinson... cet atlas présente les cartes de ces lieux familiers des lecteurs.

Vingt-trois auteurs évoquent les territoires qu'ils ont fait naître dans leurs œuvres à travers les plans qu'ils ont imaginés. Ils racontent également les lieux littéraires ou réels qui les ont fait rêver et ceux qui furent à la source de leur propre inspiration. Un magnifique voyage de carte en carte à travers la littérature  : une inépuisable source de rêverie et d'aventure !

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« Nos cartes étaient des œuvres d’art. Les principaux volcans  crachaient de telles flammes et étincelles qu’on eut pu craindre que ces continents de papiers ne s’embrasent  ; les chaînes de montagnes étaient si bleues et blanches de glace et de neige qu’elles vous glaçaient le sang. Nos déserts bruns et arides étaient grumeleux de chameaux et pyramides, et nos jungles tropicales si luxuriantes et enchevêtrées que les jaguars voûtés, serpents agiles et gorilles moroses ne s’y mouvaient qu’avec difficulté […]. Nos rivières étaient larges et plus bleues qu’un myosotis, constellées de canoés et de crocodiles. Nos océans étaient tous sauf vides… Ces cartes étaient vivantes, on pouvait les étudier, les inspecter, les compléter  ; des cartes qui, en définitive, avaient un vrai sens.  » 
Gerald Durrell, Ma famille et autres animaux, 1956.

Vous l’aurez compris, dans un monde covido-confiné où seule la télé envoie les images qu’on veut nous montrer, prendre le temps pour rêver (d’)ailleurs est devenu une nécessité. Exemple à suivre, à lire, à offrir.

Jean-Pierre Simard le 18/03/2021
Sous la direction de Huw Lewis-Jones - Atlas des mondes imaginaires. De l’île au trésor à la Terre du Milieu » (The Writer’s Map. An Atlas of Imaginary Lands), traduit de l’anglais par Simon Bertrand, E/P/A,
256 p., 35 €.

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