Charlotte Abramow et le portrait genré
Découverte à 16 ans par un Paolo Roversi qui lui consacre illico un article dans Polka ( « La fragilité et l’âme d’une guerrière »), Charlotte Abramow est à la fois autrice, réalisatrice et photographe. Pour faire flipper les pisse-froid et autres culs-bénis, l’une de ses séries s’intitule “Find Your Clitoris”. Allez, on balance…
Charlotte Abramow est née en Belgique en 1993. À 7 ans, elle s’amuse à prendre en photo ses copines dans la cour de récré au jetable, puis commence à 13 ans à se passionner pour l’image. Dès 15 ans, elle photographie ses amies, puis des adolescentes qui l’inspirent, créant à chaque fois une petite histoire. À 16 ans, elle fait la rencontre marquante de Paolo Roversi lors d’un stage aux Rencontres d’Arles. L’année suivante, Paolo Roversi rédige un article sur les images de Charlotte, intitulé « La fragilité et l’âme d’une guerrière » paru dans Polka Magazine en 2011. Cette rencontre conforte Charlotte dans l’idée de faire de sa passion, son métier. Ses images circulent alors beaucoup parmi les cercles de lycéennes et atteignent les parents, qui travaillent parfois dans le milieu de la mode. Dès ses 17 ans, en parallèle du lycée, Charlotte commence à réaliser différents travaux pour magazines et jeunes marques belges, et fait notamment la couverture du ELLE Belgique.
En 2013, à 19 ans, la Belge s’installe à Paris pour étudier à Gobelins, L’École de l’Image. Son travail remporte le Prix Picto de la Jeune Photographie de Mode en 2014. Elle est diplômée en juin 2015 et arrive finaliste aux Photo Folio Review Awards des Rencontres d’Arles un mois plus tard. Elle expose son projet sur la diversité des seins « The Real Boobs » lors de la Nuit de l’Année des Rencontres. Depuis 2014, son travail aborde principalement le rapport au corps, les femmes et les étapes de la vie, et met en scène les éléments de manière absurde dans un monde teinté de surréalisme.
À 24 ans, Charlotte prend en charge la direction visuelle du projet « BROL » de la chanteuse belge révélation Angèle dont elle réalise toutes les photographies. À l’occasion de cette rencontre artistique, Charlotte fait ses premiers pas en tant que réalisatrice avec « La Loi de Murphy » et « Je Veux Tes Yeux ». Les deux clips, soignés et absurdes, rencontrent un succès sur la toile, cumulant ensemble des millions de vues. En 2018, Charlotte réalise un clip pour Georges Brassens, « Les Passantes », qui sort le 8 mars à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes. Le même jour, il est censuré aux moins de 18 ans par la plateforme YouTube pour « contenu offensant ». Le clip reçoit le « Prix du Droit des Femmes » décerné par le Secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Le 3 novembre 2018, l’artiste sort son premier livre « Maurice, Tristesse et rigolade » qui retrace la reconstruction et le renaissance de son père qui a traversé un cancer, et un coma qui lui a laissé des séquelles cérébrales. Le livre fait partie du Projet Maurice, financé en 2016 par 777 contributeurs via Kickstarter. Alors que le projet était encore en cours de construction, il avait déjà reçu une large couverture médiatique et une Mention Spéciale aux Photo Folio Review Awards des Rencontres d’Arles en 2017.
La photographe part en juin 2017 à la rencontre des habitants des Îles Féroé et construit, avec eux, un portrait créatif. Nommée « They Love Trampoline », la série d’images est exposée avec la Galerie Fisheye à Paris Photo en novembre 2018 et Charlotte est sélectionnée parmi les 8 artistes de Paris Photo mis en lumière par le New York Times. En 2019, Charlotte réalise le clip féministe « Balance Ton Quoi » d’Angèle. Le clip questionne les rôles de la justice et de l’éducation dans le combat pour l’égalité et présente une capsule de comédie dialoguée avec Pierre Niney. À 25 ans, elle tient son premier workshop aux Rencontres d’Arles, 9 ans après y avoir rencontré Paolo Roversi en tant que stagiaire. La même année, son livre « Maurice, Tristesse et rigolade » est finaliste du Prix Nadar. Le travail de Charlotte est exposé à la Galerie Richard Taittinger à New York à l’occasion de l’expo collective « The Female Lens », d’octobre à décembre 2019, aux côtés de rien moins que Diane Arbus, Shirin Neshat ou encore Rania Matar.
Début 2020, elle conçoit et réalise « Le Petit Manuel Sex Education » pour Netflix, à l’occasion de la sortie de la saison 2 de la série Sex Education. Cet objet éditorial de 64 pages sur le thème de l’éducation sexuelle est fait de photos et de textes et est distribué gratuitement à 75 000 exemplaires en France. Une campagne d’affichage massive a lieu pendant 2 semaines, affichant notamment l’actrice Emma Mackey avec une sculpture de clitoris, le baiser d’un couple gay ou encore une image évoquant les règles. Quels que soient le médium et le sujet, Charlotte a pour leitmotiv de raconter l’humain de manière poétique et métaphorique. Bientôt 10 ans de partage de ses images sur le net ont permis à l’artiste de réunir une belle communauté.
Charlotte Abramow se bat « contre les stéréotypes classiques associés aux femmes : leurs (in)capacités, leurs ambitions, leurs indépendances…» Convaincue que « l’intime est politique », elle rend visibles les constructions sociales subies ou intériorisées. À la question « Est-il légitime de parler d’un regard féminin dans la photographie ? » elle répond sans ambages : il existe un regard féminin, puisqu’on élève et qu’on considère les femmes d’une autre manière que les hommes. Ce regard féminin est même particulièrement nécessaire dans la photographie, « majoritairement créée par des hommes pour des hommes », et donc limitée. Pourtant, si elle aborde le sujet des inégalités de genre, Charlotte Abramow le fait avec humour, dans des mises en scène vitaminées, souvent absurdes ou oniriques.
Dans ses clips, ses livres, comme dans les photographies exposées dernièrement à la galerie Fisheye dans le cadre de l’événement « Elles x Paris photo », elle place l’humain au centre de son œuvre, avec une poésie épurée et colorée. Dédramatisées, mais d’autant plus crues, ses images jouent entre réalité et fantasme, comme des « lampe-torches inventives braquées sur un sujet ». La série « Find Your Clitoris » de 2017, est un univers rose et chair de formes suggestives et de gros plans évocateurs, jamais explicites, où l’on devine des objets et des corps féminins, dans une « exploration visuelle du plaisir.»
On ne sait quelle Charlotte nous plaît le plus, de son incarnation dans la mode, au portrait touchant de son père, en passant par ses clips féministes qui tapent fort et juste, ou bien encore ses futures incarnations qui renouvèleront encore le discours féministe dans l’art, les magazines, la mode ou ailleurs. Anyway, on adore et on vous conseille de découvrir l’éventail de ses talents pour son attention à sa vision évolutive du monde, son âge adulte qui n’oublie jamais l’enfance ni la liberté de création. En savoir plus ici
Jean-Pierre Simard le 11/12/2020
Charlotte Abramow - Portrait genré