Why Not ? Porto Novo ! un album pas bénin de Marion Brown
Dans les grand altistes du free jazz US, je pioche Marion Brown et je découvre la réédition de ces deux albums en un par le label helvète Ezz-thetics. Et on redécouvre ainsi un musicien en constante évolution qui en 1966, sur le premier découvre la notoriété dans les studios new-yorkais ( Why Not?) quand Porto Novo! le voit batave d’adoption et éloigné des USA pour respirer loin du racisme. A 13 mois d’intervalle, saut quantique.
Chaque album correspond à une étape de sa musique et, l'ensemble documente deux moments artistiques distincts. Et le bonheur de ce couplage vient surtout du travail de dépoussiérage des bandes effectué par l'ingénieur du son du label Peter Pfister qui a insufflé de vitalité et immédiateté aux bandes sources emblématiques du free jazz de la première génération en termes de subtilité sonore.
Associé fin 1966 au pianiste Stanley Cowell, au bassiste Sirone (alors Norris Jones) et au batteur Rashied Ali pour le premier album, Brown n'était qu'à un mois et demi d'enregistrer ses débuts pour Impulse, Three for Shepp, sous l'égide enviable de John Coltrane. Cowell et Sirone le rejoindront dans cette entreprise de plus grande envergure, mais une session pour le label ESP, qui n'est pas très connu, est déjà prévue. Brown a apporté quatre originaux pour la date et bien qu'on ne sache pas exactement combien de temps de répétition a précédé le succès du quatuor en studio, la musique a une concentration admirable et une logique structurée qui ne sont pas toujours présentes parmi les projets de ses pairs pour le label. "Sorella" s'appuie sur une magnifique mélodie verticale entrecoupée de trilles d'alto que Cowell renforce par des cascades d'accords dorés. Les contributions de Sirone et d'Ali sont plus audibles que jamais, le premier grattant des élastiques autour de la caisse claire tourbillonnante et des accents de cymbale du second. "Fortunato" se déploie comme une ballade luxuriante et formelle avec les phrases limpides de Brown glissant sur un accompagnement élégant, renforcé par les maillets roulants d'Ali. Il y a un montage difficile d'environ une minute et demie, mais sinon le morceau se déroule comme une rêverie ininterrompue. Le morceau titre et le morceau plus proche, "Homecoming", s'appuient davantage sur la dissonance collective, mais l'album n'est pas plus barré que les sessions de la cohorte de Brown enregistrées en même temps pour Blue Note.
En décembre 1967, Brown est aux Pays-Bas, autre participant à la grande migration des musiciens de jazz attirés vers le continent européen pour échapper aux facteurs de stress policiers et aux contraintes racistes des États UNis. Le bassiste Maarten Van Regteren Altena, qui tronquera plus tard son nom de scène, et l'infatigable batteur Han Bennink sont les partenaires et instigateurs de cinq pièces qui s'inspirent de thèmes conçus par Brown, mais qui ressemblent davantage au genre d'improvisations libres qui étaient la lingua franca des trois. Le kit de Bennink ayant été particulièrement mal servi par les versions précédentes de l'enregistrement, sonnant à la fois cassant et délavé, Pfister ne disposant que d'un mojo réparateur limité, c’est là qu’on apprécie son travail car il réussit à retransmettre l'énergie de ces conversations parfois combustibles, mais toujours amicales, avec un son nettoyé de près. Pour vérifier, écoutez donc la version enregistré pour Black Lion sur YouTube. Du brouillard à la la luminosité, il n’y a qu’un pas, ici franchi en souplesse. Recommandé. Et les amateurs y retrouveront avec ce nouveau master une pochette qui ressemble à s’y méprendre à celles du label Hat Hut.
Jean-Pierre Simard le 8/10/2020
Marion Brown - Why Not ? Porto Novo ! - Ezz-thetics