Les magnats du hip-hop vrais benêts en politique 

De Diddy qui fait la promotion du Our Black Party à Ice Cube qui aide à développer le Plan Platine de Donald Trump ou Killer Mike qui dialogue avec un gouverneur pro-Trump et 50 Cent qui s’alarme pour ses impôts si Joe Biden est élu, les magnats mâles du hip-hop se révèlent aussi arrogants dans leur approche que semeurs de merde dans leur démarche.

Diddy

Diddy

Le rap est un genre intrinsèquement politique. Il est normal que les rappeurs aient exprimé des opinions politiques à la fois dans leur musique et en dehors de celle-ci, incitant leurs fans à s'engager en politique et promouvoir le changement. Bien qu'il ait été charmant de voir Cardi B s'engager avec authenticité, curiosité et enthousiasme en politique d'une manière qu’elle seule puisse endosser, ou de voir Noname promouvoir des idées et des perspectives radicales par le biais de son club de lecture, tout en se remettant constamment en question face à sa propre évolution politique, cet espace est souvent dominé par les hommes - des figures adjacentes du hip-hop comme Charlamagne Tha God à Diddy. Et bien qu'ils défendent souvent la même cause - l'amélioration de la situation des Noirs vivant en Amérique - les résultats varient et sont souvent imparfaits, leur vision centrée sur les hommes de l'amélioration de la situation des Noirs ne tenant pas compte des besoins des autres Noirs de ce pays.

Rien qu’en 2020, nous avons eu trois exemples frappants de magnats du hip-hop parlant au nom de l'Amérique noire : Diddy, Ice Cube et Killer Mike. Dans le contexte de la plus importante élection présidentielle de ces dernières années et d'une pandémie mortelle qui a fortement touché les Noirs, les actions et les déclarations de ces trois hommes ont varié, certaines étant plus inquiétantes et préjudiciables que d'autres.

Au début de l'année, Diddy a dû faire face à une volée de bois vert, après avoir exhorté les fans à suspendre le "vote noir" pour Joe Biden et le Parti démocrate jusqu'à ce que Biden adopte un programme abordant les problèmes de la communauté noire.

"Le vote des Noirs ne sera pas gratuit. Rien n'a changé pour l'Amérique noire. Pour que nous puissions voter Joe Biden, nous ne pouvons être considérés comme des électeurs acquis comme nous le sommes toujours, parce que nous sommes censés être démocrates ou parce que les gens ont peur de Trump", a déclaré Diddy lors d'une interview avec Naomi Campbell en avril dernier. "C'est du business à ce stade. Vous savez, on ne peut pas faire confiance aux politiciens".

Cette envolée lyrique de Diddy, partagée sur son compte Instagram, a créé la controverse auprès de nombreuses personnes, dont Kenny Burns, ex-Président du développement de Combs Enterprises.

"Cette déclaration est très irresponsable aujourd’hui. La seule option est de mettre Trump hors d'état de nuire. Allez, Champion ! !! Encourager les gens à rester dans l’expectative n'est pas une option. #VoteOrDie", a commenté Burns. (Burns affirmera plus tard que Diddy l'a bloqué et a supprimé le commentaire).

Cette prise de position ne tenait pas compte du fait que la plupart des Noirs ne peuvent - et ne devraient pas - renoncer à leur vote cette année, et cela montrait un manque d’acuité de sa part. Récemment, il a fait cette déclaration en annonçant le lancement d'un "nouveau parti politique noir" - et son soutien à Biden - où il a maintenu sa position tout en reconnaissant l'importance de voter lors des prochaines élections.

"Il serait irresponsable de ma part de prendre notre vote en otage, mais il serait tout aussi irresponsable de ma part de laisser passer ce moment - le monde nous regarde - et de ne pas faire tout ce que je peux pour m'assurer que, en allant de l'avant, nous fassions partie de l’aventure, que nous soyons partie prenante de notre politique", a-t-il déclaré.

Comme avec sa déclaration initiale, le lancement du parti politique, appelé Our Black Party, montre sa bonne volonté. Celui-ci déclare qu'il "s’engage à créer un programme et soutenir les politiques et personnes qui agissent en vue de la libération des Noirs", et détaille des questions telles que le financement de la police, le revenu garanti pour tous, la dépénalisation de la pauvreté et la création de richesses inter-générationnelles. Mais cette annonce, ainsi que la confusion autour de la formulation de l'organisation - bien que Our Black Party soit un comité politique enregistré auprès de la FEC, et pas un tiers - ont relancé la polémique autour de ses propos. En fait, Diddy semble s'être attribué le mérite du lancement du parti, malgré des rapports sur la création de l'organisation en juillet 2020, aucun d'entre eux ne faisant référence à lui - mais attribuant la création du parti à la maire de Hyattsville, Candace Hollingsworth, et au Dr Wes Bellamy, ancien vice-maire de Charlottesville.

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Lorsque Diddy a suggéré, une première fois, que les Noirs réserveraient leur vote, Ice Cube faisait partie de ses soutiens. Récemment, il a dû s’expliquer sur le fait qu'il avait travaillé avec l’organisation de campagne de Donald Trump sur leur plan Platine. Le rappeur s’est depuis expliqué sur l'incident, en disant qu'il avait dialogué avec les organisations de campagne de Trump et de Biden afin d’obtenir leur soutien pour son Contrat avec l'Amérique noire.

"Nous sommes allés à Washington. Je ne suis pas allé à la Maison Blanche et je n'ai pas rencontré Trump. Je n'ai jamais rencontré Trump de ma vie. Nous nous sommes rencontrés et avons parlé [de la campagne] dans un hôtel, et quand ils ont présenté leur fameux plan Platine, ils ont mis en avant certaines des choses qu'ils avaient formulées grâce au  Contrat avec l'Amérique noire", a déclaré Cube dans une interview à Rolling Stone.

Le contrat de Cube avec l'Amérique noire est un projet qu'il promeut depuis juillet dernier, comme en témoigne un article écrit pour The Hill, centré sur ce plan. Comme Our Black Party, le Contrat avec l'Amérique noire est bien intentionné mais imparfait. Les versions complète et résumée du plan énoncent clairement les problèmes auxquels sont confrontés les Noirs aux États-Unis et proposent des solutions à ces problèmes qui vont de l'inégalité raciale à la réforme des prisons. Toutefois, le plan ne traite pas des questions spécifiques liées aux femmes noires ni à la communauté noire LGBTQ. Historiquement, les mouvements centrés sur la promotion des personnes noires ont donné la priorité aux hommes noirs hétérosexuels par rapport aux autres. Certaines parties du plan en parlent plus ouvertement : vers la fin se trouve un addendum intitulé "Focus on the Black Family", qui déclare :

« Tout programme qui cherche à promouvoir au mieux les intérêts de la communauté afro-américaine doit s'efforcer de restaurer l'unité familiale noire, composée d'un homme, d'une femme et d'un ou plusieurs enfants. Que ce soit dans la famille nucléaire ou dans la version de la famille élargie qui a également été prédominante tout au long de l'histoire, le paradigme père-mère-enfant a toujours été le pivot de tout peuple, société et civilisation forts. »

Mais la plupart des gens lui en veulent pour avoir participé à la campagne de Trump et, en fin de compte, avoir travaillé avec l'administration de campagne sur leur plan, un peu pâlichon par rapport au plan de Cube. Les vagues promesses du Plan Platine, comme l'augmentation de l'accès au capital de 500 milliards de dollars ou la poursuite du KKK en tant que groupe terroriste, ne tiennent que jusqu’à ce qu’on jusqu'à ce qu'on considère la probabilité de chacun. (Dans le premier cas, on ne sait pas très bien d'où proviendront les fonds nécessaires, alors que le FBI n'a même pas le pouvoir de s'occuper du second). Depuis, Cube a tenté de justifier son raisonnement, en affirmant que "le progrès des Noirs est une question bipartite", considérant les deux partis comme équivalent sur le fait de profiter des Noirs.

"Nous, en tant que Noirs, avons vraiment besoin d'être indépendants", a-t-il déclaré. "Et en tant qu'indépendants, de nous engager pour élever un candidat à la présidence". Puis, de surenchérir en affirmant : "Écoutez, le parti qui fera le plus pour aider notre communauté à s’émanciper obtiendra notre vote".

Il a aussi ajouté, lors d'une récente interview avec Hot 97, où il affirmait que les deux partis n’étaient pas au même niveau, qu’il devait bien admettre qu’à ce stade, il restait un électeur indécis.

Le cynisme de Cube envers les deux types de campagne est compréhensible sachant que, quel que soit le parti, les deux auraient utilisé son nom à leur avantage. Mais ses réponses manquent non seulement du bémol du "moindre mal" de cette élection si particulière, mais aussi affichant une réticence à reconnaître que sa bonne foi a été exploitée par un parti qui est clairement plus ouvert à la préservation de la suprématie blanche. Penser qu'un parti dirigé par un président qui s'attribue tout le mérite du faible taux de chômage des Noirs - Barack Obama avait œuvré en ce sens, jetant les bases d'un faible taux de chômage parmi la communauté - et qui a exprimé son regret de ne pas voir une augmentation du vote noir, malgré sa politique de réduction de peine en sa faveur, montre une ignorance politique crasse qui étonne beaucoup de fans de Cube. Même en comparant le plan de Cube avec celui des campagnes de Trump et Biden, on constate une différence radicale entre les deux. Quand le plan de Trump tient en trois pagescontienant de  simples promesses, mais peu ou pas de détails sur la façon dont elles seront tenues ; celui de Biden est un programme complet qui inclut des détails sur la façon dont ces questions seront traitées, et qui prend même en compte des questions concernant spécifiquement les femmes noires et personnes LGBTQ noires.

Killer Mike

Killer Mike

Tout comme Cube, Killer Mike s’est fait allumer, début 2020 pour avoir rencontré le gouverneur républicain de Géorgie, Brian Kemp, afin de parler des problèmes auxquels sont confrontées les petites entreprises et l'industrie de la musique dans le contexte de la pandémie COVID-19, ainsi que pour avoir lancé des programmes d’initiatives pour l’emploi en direction des jeunes hommes noirs. Sachant que Kemp n'est pas seulement un fervent partisan de Trump, mais qu'il a également été accusé de suppression d'électeurs lors de l'élection du gouverneur de 2018 entre lui et Stacey Abrams, il n'est pas surprenant qu'un certain nombre de personnes aient mis en doute les raisons pour lesquelles le rappeur a accepté de le rencontrer. Comme Cube, Mike est considéré comme un leader politique. Son travail en solo, ainsi que son travail aux côtés d'El-P dans Run The Jewels, est une extension de son activisme, remarqué tout au long de l’année. Il a réaffirmé son soutien à Bernie Sanders lors des primaires présidentielles démocrates de 2020, a prononcé un discours aussi passionné que controversé - devant les manifestants d'Atlanta et a contribué au lancement d'une banque numérique destinée aux Noirs et aux Latinos, appelée Greenwood.

En tant qu'organisateur depuis son adolescence, Mike a un passé qui fait défaut à ses homologues. Mais c'est aussi ce parcours qui a conduit les gens à se demander pourquoi il avait rencontré Kemp.

"...quand on parle d’une rencontre avec le gouverneur, les gens ne me voient que sous le prisme du saltimbanque dansant et chantant. Mais je ne me laisserai pas rabaisser à si bas que cela", a déclaré Mike à propos de la rencontre, lors d'une apparition sur le podcast Sway du New York Times. "Je suis un avocat et un activiste de 30 ans dans ma communauté... Je serais bien crétin de ne pas aller m'asseoir avec le gouverneur de mon État et donner mon point de vue de citoyen et d'électeur ordinaire, ainsi que celui de propriétaire de petite entreprise. Je serais fou de ne pas le faire. Vous seriez tout aussi fous de ne pas le faire."

Il y a un sens de la nuance et une conscience de soi chez Mike qui en font un des experts masculins du hip-hop les plus crédibles. En tant qu'activiste et capitaliste, Mike a ouvertement parlé de la jonction entre les deux. Mais c'est aussi cette jonction qui souligne sa perspective politique, avec l'idée d’un capitalisme noir présenté comme la solution aux problèmes des Noirs. Cela transparaît clairement dans cette même interview de Sway lorsqu'il parle de l'attrait du plan Platinum de Trump par rapport au plan de Biden pour les Noirs, faisant référence aux promesses de créer 500 000 nouvelles entreprises appartenant à des Noirs et d'augmenter l'accès au capital de 500 milliards de dollars par rapport au premier.

"Trump comprend que si l'économie des Noirs américains se renforce d'une manière ou d'une autre, il conservera le pouvoir politique et son parti en obtiendra plus par l’injection de fonds envers cette communauté qui pourra les dépenser en son sein, tout autant qu’auprès de la nation", a-t-il déclaré.

Les gens commencent à réexaminer leurs relations avec les célébrités et les personnalités publiques. Avons-nous vraiment besoin de célébrités, alors que les militants qui dirigent ces mouvements – avec leur soutien- pourraient être soutenus à la place ? Les Noirs en sont également à un point où ils ne peuvent - et ne devront plus - être traités de manière globale et générale ; où les préoccupations et les perspectives de l'homme noir hétéro ne peuvent plus prévaloir sur celles des femmes noires et des personnes LGBTQ noires.

Elijah C. Watson pour Okayplayer 24/10/2020
Traduction et adaptation de la rédaction