Avec “Malibu Liquor Store”, Shit & Shine remet des barbelés sur la prairie électro

On avait été surpris de découvrir Shit & Shine en double affiche aux Instants Chavirés avec les Sleaford Mods, il y a déjà longtemps. Cousinage du bruit ou juste proximité de musiciens sans barrières ? On dira gratte-poil avant tout à l’écoute de ce réjouissant “Malibu Liquor Store”.  

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Passant sans encombre d'un rock bruyant et salace à des volutes techno, Craig Clouse ne s'embarasse pas des restrictions de genre qui simplifient les classements des bacs des disquaires. Aussi à l’aise pour faire tourner les têtes que démembrer ses sujets, il réitère ici avec un album moins versé sur les dérapages musicaux qu’une composition qui alterne titres décalés et excellents assauts soniques: c’est le Malibu Liquor Store. Et pour Monsieur, ce sera ?

A entrer dans un album de Shit & Shine, on a envie d’apporter sa lampe de poche et son scanner de fréquences, juste pour savoir où on se trouve. Et, avec Malibu Liquor Store, le Texan nous bluffe une fois encore ; passant d’une approximative B.O. de SF cheap à des cavalcades effrénées en terra incognita. Et c’est tant et on ne redemande… L'album s'ouvre sur la chanson-titre cinématique, un décor de krautrock révélant un paysage torride et brûlé. Le groove est urgent et nerveux avec une guitare efficace, des percussions réverbérantes et des coups de piano qui donnent de la chair à l'espace. On sent la chaleur, mais cela ressemble plus à une insolation débilitante qu'à une baignade au bord d'une piscine, un cocktail à la main. Le suivant, Rat Snake s'enfonce plus profondément dans le terrain brûlé, créant une tension avec des éclaboussures de guitare et des synthés granuleux qui se préparent à l'action.

Il y a des moments d'innocence contrariée sur des morceaux comme Chervette, avec sa flûte jazzy et son arrangement de cordes qui ne dure que le temps de se transformer en easy listening à sillon rayé. Le morceau-phare Hillbilly Moonshine ravive la peur avec ses plus de dix minutes de musique d'entraînement de moto-cross, un rêverie dérangée qui se trouve sans jamais se chercher en vous décollant les oreilles. Et quand cela cesse, on croit s’en tirer avec la douceur de Barbara and Woodrow, mais c’est pour mieux installer un autre malaise. Doux-amer celui-là qui ne fait qu'aggraver le sentiment de malaise.

A la fois paysage sonore du désert et piste de danse, le Malibu Liquor Store rappelle un autre album tout aussi aride, Concrete Desert, la collaboration entre The Bug et Earth. Si les similitudes stylistiques sont peu nombreuses, le parallèle se retrouve dans les pulsions psycho-géographiques de leurs créateurs. Dans une interview avec tQ, Kevin Martin de The Bug a parlé d'un désir de "cartographier soniquement un terrain visuel". Dans le cas de Concrete Desert, ce terrain était la véritable ville de Los Angeles. Sur Malibu Liquor Store, on nous présente une carte plus fluide du territoire hallucinatoire. Il s'agit d'un espace en perpétuel changement, dans lequel les repères sonores familiers ne sont aperçus que de façon fugace, l'auditeur étant poussé en avant par le mouvement perpétuel des rythmes du krautrock, façon Neu ou Can.

Vous voilà prévenus et en route pour 40 minutes de concassage sonore pour dire la vue d’une ville, en relation avec un débit de boisson, racontée par un idiot-savant aussi barré que palpitant, le Craig Clouse de Shit & Shine. Mais, en regardant par la fenêtre, ce n’est pas tellement éloigné des paysage péri-urbains parisiens. Excellent !

Jean-Pierre Simard
Shit & Shine - Malibu Liquor Store - Rocket Recordings

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