Le Sinner Moodymann est un pêcheur, mais un bon. Amen !
S’il est dans le circuit des festivals internationaux depuis des lustres, Kenny Dixon Jr alias Moodymann a décidé depuis des années de ne plus faire de set en club, ou alors en trimbalant son environnement avec lui. Si ça pose des problèmes aux dirigeants des clubs, il annule… Mais ce phénomène house de Detroit reste un pionnier et un vrai producteur réjouissant, comme ici avec cet inattendu Sinner.
La célébrité étant ce qu’elle est, Kenny Dixon a lancé une invitation à un barbecue chez lui à Detroit pour vendre à dix boules quelques copies de son album à sortir Sinner et, aussitôt, son arrière-cour s’est remplie de fêtards qui voulaient en savoir plus autour des platines, d’une bière et quelques ribs à croquer. Et, avant la sortie digitale, il a fait la tournée des disquaires de sa ville pour filer quelques vinyles promo… Mais justement cet album, à quoi peut-il bien ressembler ? D’abord il diffère de la première version de sept titres, sortie en double maxi avec deux titres en plus (8 Mile D Boy et Sinner). On va détailler, mais on y retrouve les constantes du son qui l’ont rendu célèbre : un vieux fonds psyché qui doit beaucoup à Clinton et ses divers groupes, un science du sample totalement panoramique sur la musique black ( jazz, gospel, blues, house, techno…) avec des claviers si particuliers et un engagement politique réel qui font de lui une sacrée exception sur cette scène, en dehors de ses collègues de Underground Resistance. Plus précisément Moodymann est le seul représentant de la house en version great black music.
Sinner est un album de neuf titres, dont trois nouveautés, une version live de I Got Werk, tirée de son dernier album de 2014, le morceau-titre et Downtown, extrait d’un maxi paru l’an passé, intitulé Pitch Black City Reunion.
Comme d’habitude, le charme vient la manière de composer en y coulant toutes sortes de choses. Ainsi, I'll Provide contient bien les canons de la house qui déménage, mais sur I Think Of Saturday, qui envoie bien aussi, il trouve le temps de placer un sample du With You In Mind de Joe Smooth. Plus loin, If I Gave You My Love démarre sur l’amorce duTake Yo' Praise samplé de Fatboy Slim par Camille Yarbrough, avant de se transformer par des accords d’orgue gospel au Rhodes sur fond de basse disco.
Moodymann adore bricoler les genres musicaux et il est tout à son aise pour en redéfinir les paramètres dance ou pas… Deeper Shadow jouant au mille feuilles avec la voix d’Isaac Hayes pour le R&B et une jam house. Quant à la version live d’I Got Werk, elle joue à donf la carte soul psyché du Cosmic Slop de Funkadelic, avec solo de gratte à la clé, en référence à Eddie Hazel ou Dennis Coffey.
Et, toujours à propos d’I Got Werk qui est le titre-référence de l’album, on y trouve tout le charme de Kenny Dixon Jr qui s’applique à faire de la musique à la fois urbaine et cosmique. Le genre de chose qui fait qu’un seul titre signé Moodymann pourrait avoir plus de valeur que tous ceux sortis par un autre artiste. Le genre de truc qui fait qu’à partir d’un simple message sur le réseau, la population de Detroit fonce dans son arrière-cour pour participer à la fête. C’est pas tous les jours qu’on peut côtoyer un mythe…
Jean-Pierre Simard le 28/06/19
Moodymann - Sinner - KDJ Records