Henry Wessel s'est accroché à son fil noir (A Dark Thread) et ça se voit à la MEP
Amateur de films noirs et passé par la psychologie avant de devenir photographe, Henry Wessel a passé sa vie à inscrire le paysage dans sa démarche et y matérialiser la lumière (surtout californienne). Sa première rétrospective française à la MEP permet de découvrir un artiste en quête de scénarios.
Henry Wessel aimait passer en revue ses archives de planches-contact et mettre en perspective des photographies prises à des décennies d’écart. Pour ce grand amateur de films noirs, ces rapprochements formels constituaient les débuts possibles d’un scénario d’intrigues.
Trois séries sont présentées à la MEP. La première, Incidents, constituée de 27 photographies, suit un ordre précis comme une séquence d’images ou un storyboard, selon son fameux procédé de correspondances. La seconde intitulée Sunset Park, est une sélection de 50 images prises de nuit, invitant à une plongée dans l’ambiance mystérieuse des nuits californiennes d’Henry Wessel. Enfin, c’est encore selon cette même approche qu’Henry Wessel avait commencé, avec l’équipe de la MEP, à reconstituer la troisième série de 50 tirages montrée dans l’exposition : A Dark Thread, présentée pour la première fois. Henry Wessel est décédé le 20 septembre dernier, en laissant en suspens la dernière histoire qu’il avait imaginée.
« Ça peut arriver n’importe quand, n’importe où. Inutile de se poster devant ce qui fera une bonne photo. Ça peut surgir à tout moment et en tout lieu ! » certifiait Henry Wessel, qui semblait néanmoins toujours au bon endroit, au bon moment.
Son univers unique et mystérieux se retrouve dans l’ensemble des ses images. Son processus consistait à trouver de l’intrigue en tout. Avec A Dark Thread, Wessel avait mis au défi des écrivains d’imaginer une nouvelle (short story) à partir d’une de ses images au cadrage étrange. Ces nouvelles sont présentées de façon inédite au sein de l’exposition et font l’objet d’une publication conçue avec Michael Mack et la Artworkers Retirement Society.
Ces dernières années, Henry Wessel s’est particulièrement démarqué par ce procédé, créant un univers unique et mystérieux autour des lieux qu’il a visités, un fil noir liant ses photographies les unes aux autres, que la MEP a voulu faire découvrir à travers cette exposition. C’est également l’occasion pour l’institution de redonner sa place à l’un des artistes de la grande exposition de 1975 New Topographics: Photographs of a Man- Altered Landscape et qui, bien que figurant à l’époque aux côtés de Lewis Baltz, Robert Adams ou encore Stephen Shore, était sans doute resté d’avantage confidentiel en France.
En 1969, après avoir longtemps voyagé à travers les États-Unis, Henry Wessel découvre et tombe sous le charme de la lumière de Californie. Il s’installe à San Francisco avec le désir de tout photographier, tout le temps. Prolifique, il travaille principalement en noir et blanc et réalise ses propres tirages avec un léger ton argenté caractéristique. En plus de présenter et publier des ouvrages célèbres telles que California and the West, Odd Photos, Las Vegas, Real Estate Photographs et Night Walk, il imprime également des centaines de planches-contacts qu’il conserve au fil des ans dans son studio. Des années plus tard, il les passe au crible, à la recherche de celles qui attirent son regard. Comme un voyage qui se jouerait de l’élasticité du temps, il crée des correspondances. À chacun d’imaginer le fil qui relie une photographie prise en 1968 et une autre de 2009. À chacun d’imaginer une histoire…
On assiste donc à un étrange ballet des corps, comme chez Balz, mais en noir et blanc, à saisir l’étrange et le grotesque mais sans jamais appuyer. Chez Wessel, le personnage dans l’image est saisi dans ce qu’il capte de lumière et de matérialité dans l‘espace pour se fondre dans un ensemble/paysage qui devient le cliché. Photo de jour ou nocturne, quelque chose se construit là qui tient à la fois de l‘instantané du cliché et d’un moment qui se fige pour dire ce qu’il est qu’il peut faire comme lien… le fil noir évoqué devient un possible parmi d’autres qu’il faut rassembler pour agrandir l’histoire. Les fameuses correspondances baudelairiennes y reprennent du service - et on adore positivement . Comme un réseau inconscient ou une aventure en suspend qui ne demande qu’à se prolonger. Carrément très bien !
Jean-Pierre Simard le 19/06/19
HENRY WESSEL - A DARK THREAD- 25.08.2019
MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE 5/7, rue de Fourcy 75004 Paris