Michael Rother, oublier Hendrix et le blues pour trouver autre chose (comme le krautrock) !

Inconnu du grand public, Michael Rother n’en est pas moins là depuis 1969, comme un des architectes du son allemand. On citera juste Kraftwerk, Neu!, Harmonia ou ses albums solo comme autant de pierres angulaires du krautrock et on va vous raconter un peu l’histoire… 

De Neu! à Harmonia, du voisinage avec Kraftwerk ou Brian Eno en passant par ses projets solo, Michael Rother est un des principaux initiateurs de cette vague venue d’Allemagne, joignant rock cosmique et electro pionnière. Et il répond tout seul à la question que posait le rédacteur en chef de Creem en 1975 à Lester Bangs qui affirmait alors: “ Il est en passe d’être saisi par les Allemands et les machines… “

Il aurait pu être un homme-robot membre de Kraftwerk. Il a préféré dès 1971, avec un autre “dissident”, Klaus Dinger, initier Neu! avant de rejoindre ses aînés Hans-Joachim Roedelius et Dieter Moebius, réunis dans Cluster, pour expérimenter en trio avec Harmonia. Il aurait pu devenir guitariste de David Bowie en pleine période “berlinoise”. Mais Michael Rother a plutôt enregistré sous son nom neuf albums essentiellement instrumentaux, dont les quatre premiers, Flammende Herzen (1977),  Sterntaler (1978), Katzenmusik (1979) et Fernwärne (1982). Réédités dans un coffret intitulé Solo, avec des textes signés Jim O’Rourke, John Foxx (Ultravox!) et William Tyler(Lambchop, Silver Jews, Bonnie “Prince” Billy, Candi Staton…), chacun d’entre eux mérite d’être (re)découvert par quiconque s’intéresse à The Durutti Column ou bien au Jacno de Rectangle (1979).

De 69 à 79, Rother aura tenté de renouveler le son et l’emploi de la guitare faisant jeu égal avec les deux autres monstres du registre kraut, le Manuel Göttshing d’Ash Ra Tempel et le Michael Karoli de Can. Pour cela, il confiera ne interview qu’il lui aura fallu désapprendre tut ce qu’il avait intégré dans les 60’s : le blues et Hendrix, pour repartir d’ailleurs et jouer vraiment autrement.

Depuis Brian Eno et David Bowie, qui allèrent puiser sur place la matière grise et grésillante de ces sorciers teutons pour l’infiltrer dans les albums Low et Heroes, le post-punk puis le post-rock et tous les post-quelque-chose imaginables doivent leur modernité frondeuse à cette Allemagne année zéro dont Rother est l’enfant prototype. «En 1970, lorsque j’ai rencontré Ralf et Florian de Kraftwerk, je sortais d’un groupe, Spirits Of Sound [avec un autre futur Kraftwerk, Wolfgang Flür, ndlr], dans lequel nous reprenions essentiellement des morceaux de la British Invasion, des Stones ou des Beatles. Parvenu à l’âge adulte, j’ai commencé à me poser des questions sur mon identité de musicien allemand, sur ce que je pouvais apporter de différent, en oubliant cette influence anglo-saxonne. Je me suis reconnu dans la démarche de Kraftwerk qui visait précisément à écarter tout cet héritage, y compris le blues, pour partir sur des bases vierges. Avec eux, nous n’avions même pas besoin de parler, nous étions connectés par quelque chose qui nous dépassait, motivés par cette envie de briser tous les codes.» Interview pour Libé avec Christophe Conte.

Toujours suivi par l’immense producteur Conny Plank (un super documentaire sur lui est visible en ce moment-même sur Arte - ne le ratez surtout pas), il va trouver son approche du son, sa guitare féline oublie les convulsions pour s’accorder à «cette lumière qui paraît provenir de tous côtés lorsque j’ouvre ma fenêtre. Et aussi à la brume au-dessus de la rivière, à ces champs à perte de vue…» Finalement, l’homme de toutes les modernités a fait place à celui des rêveries naturalistes, laissant le krautrock dans les choux pour cultiver un genre d’Eden secret qui le maintient en pleine santé.

Depuis quelques semaines est donc disponible le coffret Solo qui refile des couleurs à une époque révolue, mais vous fait toujours tourner la tête comme pas deux. Un grand musicien, dont les recherches sont aujourd’hui adaptées par tout ce qui n’a pas oublié de trouver autre chose pour dire son actualité.

Jean-Pierre Simard le 13/05/19

Coffret Michael Rother - Solo - Grönland/PIAS