Dandysme et exil avec le kabyle Mohamed Mazouni, l’idole de la pop algérienne et parigote

La trajectoire de Mohamed Mazouni se confond avec l’évolution de la vie algérienne, du soutien au FLN révolutionnaire en passant par la case exil français et retour au pays, et l’oubli… Cette compilation concerne la période française 69/82. Un parcours qui joue la progression musicale et la reformulation du contenu pour l’impeccable dandy/yé-yé.

Mohamed Mazouni est une figure de la chanson algérienne en France. Il est né à Blida le 4 janvier 1940. Sa carrière de chanteur commence à la télévision dans les années 1960 et vite, il connait le succès auprès du jeune public à travers son texte et son look yéyé algérien. Mohamed Mazouni chante pour les immigrés dans le Paris des années 1960 et 1970 et le fait à la fois en arabe et en français à la différence de ses compères de l’immigration de la chanson chaâbi. Il aborde souvent dans ses textes l’exil et l’amour avec humour et provocation. Il compte à son actif plusieurs tubes à succès à limage de « Allô Allô », « Mini jupe”, «Adieu la France, Bonjour l’Algérie », « Halte à la vitesse », « Mon amour il est gentil », « Ouled Laghrib » et « Mchiti Lefrança ». Au cours de sa carrière artistique, il forme un duo de choc avec la chanteuse Meriem Abed avec laquelle il sort plusieurs tubes. Mohamed Mazouni, qui a inspiré beaucoup de chanteurs de raï comme le regretté Rachid Taha et l'ONB (Orchestre National de Barbès), vit toujours en Algérie.

En jouant avec les canons du Chaâbi et en les modernisant, comme avec Daag Dagui , il va jouer et composer en pensant au présent à la communauté algérienne résidant en France dont il va exprimer le quotidien, les envies, les amours. En servant de porte-voix à cette communauté, elle va lui assurer des moyens de vivre en parisien au fil des ans, à jouer au plus près des préoccupations de ceux qui n’ont pas de voix de ce côté-ci de la Méditerranée (non plus!).

C’est cette atmosphère de la culture de l’exil, et bien plus encore, que, médusé, Mohamed reçoit en pleine figure. Il y baigne à fond et s’imprègne des chansons de Dahmane El Harrachi (auteur de Ya Rayah), de Slimane Azem, Akli Yahiaten ou Cheikh El Hasnaoui, mais aussi des folles années du twist et du rock incarnées par Johnny Hallyday, Les Chaussettes noires ou Les Chats Sauvages, plus Elvis Presley et les débuts triomphants de la pop anglo-saxonne. Entre 1970 et 1990, il aligne les tubes à l’enseigne de Mini-Jupe, Chérie Madame, 20 ans en France, Bleu Délavé, Clichy, Daag Dagui, Camarade, Dis-moi c’est pas vrai ou Je suis le Chaoui, sorte d’hymne fédérateur de toutes les régions d’Algérie comme il l’explique : « Je chantais pour les gens qui comme moi connaissaient l’exil. J’étais et je suis toujours resté très attaché à mon pays, l’Algérie. Pour moi, il n’y a pas de Constantinois, d’Oranais ou d’Algérois, mais juste des Algériens. Je chante autant en arabe classique ou dialectal, en français et en kabyle ».

Mazouni, dandy bouleversé par son siècle et toujours tiré à quatre épingles, qui faisait très peu de scène, avait énormément bénéficié de l’impact des scopitones, ancêtres des clips, machines à image et son incontournables dans les nombreux bistrots tenus par les immigrés. Sa force réside dans des textes en arabe compréhensible par tous ses compatriotes et des mélodies accrocheuses, orchestrées sur fond de violon, derbouka, qanûn-cithare, târ (petit tambourin pourvu de cymbalettes, luth et parfois guitare électrique pour les compositions plus yé yé. Tel un politicien, Mazouni puise dans tous les thèmes sachant qu’il fera mouche à tous les coups. Cela lui vaudra le surnom de « chanteur polaroïd », rajoutons « kaleidoscope ». A la fois conformiste (morale sur l’infidélité ou le mariage mixte) et dérangeant (le trouble à la vue d’une mini-jupe, drague au lycée…), Mohamed Mazouni a traversé les années 1960-1970 avec son humour grinçant et son mélange fédérateur de styles du terroir. Outre les sujets légers, il dénonce également le racisme et les conditions épouvantables des travailleurs immigrés. Toujours est-il que sa façon de parler des lycéennes, des voitures et des lieux de plaisir lui vaut les faveurs des jeunes zazous immigrés de France.

Mais à trop vouloir ratisser large, il commet l’erreur, en 1991, durant la guerre interactive du Golfe, de soutenir la position de Saddam Hussein à travers le titre provocateur Zadam Ya Saddam (Fonce Saddam). Il sera interdit de séjour en France pendant cinq ans. Il y reviendra, en 2013, pour un concert à l’Institut du monde arabe où il apparaît habillé en bédouin de ses débuts.
Rabah Mezouane ( pour les 4 derniers paragraphes issus du livret de la compilation.)

Avec la voix limitée qu’il reconnaît être la sienne, il s’en moque même sur un titre, Mohamed Mazouni aura été durant cette période, une des grandes voix de l’exil algérien et, à ce titre, repris par la génération suivante: Rachid Taha adaptant avec bonheur Ecoute-moi camarade, et l’Orchestre National de Barbès La Rose. Et au final, on obtient un album d’une étrange proximité chanté en arabe et/ou en français qui sonne Barbès en souvenir de la Casbah et qui allume de drôles de couleurs au fond des yeux. Vous avez dit métissé ? Vous avez compris… 

Jean-Pierre Simard le 17/05/19

Mohamed Mazouni, un dandy en exil 1969/1982, Born Bad Records ( le 26/05/1 9)

En bonus, Oued Saïd Story, l’émission réalisée par Anaîs Prosaic et Michèle Collery pour l’Oeil du cyclone diffusée en 1999 sur Canal +, sur les scopitones placés dans les cafés arabes de l’époque où se retrouve, sur l’écran de ce drôle de juke box les figures de la scène émigrée d’alors.