Jazzo-techno, sans hésiter : le Jazzrausch Bigband de Munich

Drôle de discours que celui du Jazzrausch Bigband, dernier groupe à être signé sur ACT. Remarquable à plus d’un titre, il comporte 40 membres réguliers et prône qu’il fait retrouver le public de la danse pour redéployer le son du jazz d’aujourd’hui autrement. On leur répliquera que ni Shabaka Hutchings ni Kamasi Washington n’usent de tels subterfuges. Mais d’un autre, on leur concédera leur place de groupe résident au club techno munichois Harry Klein.

Le Jazzrausch donne en moyenne 120 concerts par an, ce qui serait impossible à réaliser sans cette force de frappe. En un an, l'ensemble s'est produit au Lincoln Center de New York, au JZ Festival de Shanghai, au Safaricom International Jazz Festival de Nairobi, à la Ural Music Night de Ekaterinbourg et au SXSW d'Austin TX. Il n'y a probablement pas d'autre groupe de jazz au monde qui soit aussi occupé, ni d'autre qui touche un public aussi jeune que lui, notamment des gens qui étaient jusqu'alors très éloignés du jazz.

La capacité de Jazzrausch Bigband à toucher un public plus jeune s'explique par la nouveauté du son et le répertoire. En jouant de la techno-jazz acoustique dans un format big band, l'ensemble a créé un nouveau style qui ravit les amateurs de jazz et excite les amateurs de danse. C'est une musique qui peut autant satisfaire les clubbers à la recherche de l'authentique que séduire autant les amateurs de jazz voire les amateurs de musique classique en étant plus énergique, divertissante et par son gros son. Le journal allemand FAZ a parlé d'un mélange de "son puissant, de groove et d'une présence scénique énorme". Pour l'instant, le Jazzrausch Bigband n'a pas d'imitateurs et occupe le terrain. On va juste rappeler aux oublieux qui recopient les dossiers de presse que le Mwandishi d’Herbie Hancock, le Carl Craig du milieu des 90’s, St-Germain et Kirk DiGiorgio, voir Herbert avec son big band sont déjà là depuis des lustres…  Mais, personne n’avait, jusqu’ici, obtenu de résidence dans un club techno.

L'essor rapide du groupe, sur cinq ans, tient surtout à la volonté et la détermination de son instigateur et leader, le tromboniste Roman Sladek. Un musicien qui s'était rendu compte, étudiant, que " la façon dont le jazz s'est développé a fini par détruire beaucoup de choses. Il y a une attitude répandue de snobisme et de mépris, combinée à une absence de conscience du public. Nous, musiciens de jazz, nous devons retrouver le chemin de l'ici et maintenant. Nous devons apprendre à maîtriser toutes les formes de musique et proclamer que notre musique a un énorme potentiel créatif." En d'autres termes, si les gens ne veulent pas se tourner vers le jazz, alors le jazz doit se tourner vers le peuple.

Parti à la rencontre de ce public précis, Sladek s’est dirigé vers des endroits auxquels les jazzeux n'avaient pas encore pensé, comme le club techno munichois "Harry Klein. Sladek a alors demandé à son compositeur et arrangeur, le guitariste Leonhard Kuhn, d'écrire un programme combinant jazz big band et techno. Et cela a payé, puisque le public du club s’est trouvé intéressé. Jazzrausch Bigband est devenu le seul big band "artiste en résidence" dans un club techno du monde entier, avec une date mensuelle qui affiche complet à chaque fois. Cela a donné des idées à d’autres, et de nouveaux clubs et festivals fait tourner l’idée. Le groupe a maintenant deux albums à son actif : une réédition de Dancing Wittgenstein, le programme techno-jazz à succès, et Still ! Still ! Still !, un album de Noël dans un style plus classique du big band.

"Le programme de Noël était en fait le premier que nous avons joué, explique Sladek. "Et depuis, nous avons pris plaisir à le développer chaque année davantage. A l'approche de Noël, c'est le parfait contrepoids aux frissons des spectacles techno que nous faisons pour le reste de l'année." "Still ! still ! still ! still ! still !" consiste en des orchestrations multicouches de Leonhard Kuhn pour les 18 musiciens de l'orchestre, de douze chansons de Noël allemandes populaires, traversant toute l'histoire du répertoire big band - et justifiant ces trois points d'exclamation dans le titre de l'album. Le morceau d’ouverture est dans un style big band à la Count Basie Leise rieselt der Schnee alternant passages calme et enfiévrés ; quand Engel auf den Feldern singen (Les bergers dans les champs) suit une piste à la Herb Alpert et que Fröhliche Weihnacht überall reprend les arrangements façon Stan Kenton.

"Ces airs, dit Sladek, sont à notre programme de Noël ce que les rythmes sont à notre programme techno. La beauté de "Still !, Still !, Still !, Still !" est que tout le monde connaît les chansons. Le public et nous avons donc un point de départ musical commun à partir duquel nous pouvons attirer les gens qui entendent rarement du jazz et les en faire profiter pleinement." Le problème, avec un tel parti-pris, est que c’est justement avec de tels arguments que le be bop s’est fait descendre à la fin des années 40 et le free au début des 60’s…  Alors oui, le disque est sympa et s’écoute avec bonheur, mais il n’innove pas vraiment, ni en jazz - The Comet is Coming va plus loin, ni en techno - le minimalisme à 40… rions ! Et puis annoncer comme grande victoire que le big band est un retour aux sources de la danse populaire - why not - mais vouloir faire resurgir un passé aboli datant des années 30 et 40 du siècle dernier, c’est douteux. Le son est sympa, le discours vraiment à côté de la plaque. Mi-raisin vert, mi-figue moisie… On parlera d’électro-funk.


Jean-Pierre Simard le 28/10/19
Jazzrausch Bigband – Dancing Wittgenstein - ACT