Angel Bat Dawid : fuck Trump et vive la Great Black Music !
Pour payer les soins du traitement d’une tumeur cérébrale, Angel Bat Dawid est devenue productrice de rap à Chicago avec le rappeur/producteur DeLundon. Quatre ans plus tard, ayant touché le pactole et payé ses factures, elle a pris une année sabbatique pour se replonger dans la black music et le spiritual jazz. Elle a récemment sorti “The Oracle” et c’est une tuerie.
The Oracle raconte le rapport de Dawid à la musique improvisée et tous les univers qui l'ont inspirée pendant ses voyages autour du monde. L’album relate, avec une palette sonore très large, son exploration des expériences culturelles noires et la force inébranlable que dégage cette famille noire via toutes ses traditions empruntées, ainsi du call and response sur : "Capetown" qui propose un échange entre le batteur sud-africain Asher Simiso Gamedze et Dawid à la clarinette. Sur "What Shall I Tell My Children Who Are Black", en jouant de voix superposées, teintées de gospel et de contralto lyrique, Dawid transforme la première ligne d'un poème en un appel prophétique et sonore. Le thème universel de la chanson, le racisme en Amérique, devient plus palpable, surtout après avoir entendu la réplique qui suit : "Qu'est-ce que ça veut dire d'être captif dans cette peau sombre." NDLR -Donald- allô ?
Puis, avec "We Are Starzz." elle plonge dans l'afro-futurisme alors que les sons numériques et acoustiques convergent sans heurts, comme sur "Space Is the Place", le standard de Sun Ra . Thématiquement, c’est à la fois une première lueur d'espoir pour l'avenir des Noirs sur l'album, mais cela marque aussi le réveil de Dawid, via la musique d'avant-garde de sa ville d'adoption, Chicago.
Car, malgré l’évocation au fil de l’album de son voyage de Londres à l'Afrique du Sud, c'est bien Chicago qui sert de fil d’ariane à l'album. Dawid fait appel aux esprits des ancêtres du mouvement de l’AACM, comme Sun Ra, tant dans son jeu que dans sa production, pour la guider en territoire inconnu. Tout comme Sun Ra (né Herman Poole Blount), elle abandonne non seulement son prénom (Angel Elmore), mais surtout, elle abandonne sa dépendance à une partition, tant dans la vie que dans la musique. Alors qu'elle produit et joue le son sans limite des tous les obstacles surmontés, de l'histoire vénérée et d'un avenir imaginé plus positif, The Oracle peut se voir comme un vibrant document de la vie noire telle qu'elle est aujourd'hui aux USA made in Trump. Une singulière respiration, en forme de bouffée d’air pur et aventureux.
On rappelle que tout son environnement l’inspire, comme le montre Black Family où elle improvise à la clarinette sur un beat hip-hop, aussi abrasif que ceux de Sauce Heist & Camoflage Monk. La plupart des neuf titres du disque ont été enregistrés de manière expérimentale, avec son téléphone portable au gré de ses voyages à Londres et au Cap en Afrique du Sud, villes auxquelles elle dédie deux titres. Volontiers dissonante sur des percussions africaines pour Impepho, spirituelle sur We Are Starzz, Angel Bat Dawid propose une pause dans le tourbillon urbain.
Jean-Pierre Simard le 14/10/19
Angel Bat Dawid The Oracle International Anthem