Bienvenue dans l'ère de … Oneohtrix Point Never
Dire qu'on attend chaque sortie de Daniel Lopato alias Oneohtrix Point Never n'est pas un vain mot. A chaque fois, il étonne, persuade et emporte nos suffrages, en tant que musicien en perpétuelle évolution. Cet Age of qui offre une avancée sonore, en allant piocher dans ses archives, s'avère assez somptueux. On s'explique.
Couronné à Cannes l'an dernier pour sa bande originale tendue du Good Time des frères Ben et Joshua Safdie, Oneohtrix Point Never est un nom derrière lequel se dissimule Daniel Lopatin, Américain originaire du Massachusetts et basé à Brooklyn, qui construit en solitaire depuis plus de dix ans une œuvre complexe, radicale mais souvent très belle. Sur son nouvel album, Age of, il s'est pour une fois ouvert aux autres en invitant James Blake, Anohni ou encore Prurient à pénétrer dans les strates souvent fascinantes de ses morceaux. L'album, son plus accessible à ce jour, est également la bande-son d'un projet baptisé M.Y.R.I.A.D qu'il a présenté il y a quelques jours à New York, et qu'il devrait transposer sous nos latitudes prochainement.
M.Y.R.I.A.D, est à une sorte d’opéra basé sur l’interaction entre plusieurs formes d’expressions. Après avoir revu 2001 : L'Odyssée de l’espace pendant la conception de l’album il a imaginé refaire le film à l’envers, avec des robots intelligents venus de l'Espace qui chercheraient à devenir des primates, en prenant la forme de teenagers trainant dans un centre commercial sur une Terre où tout aurait disparu…
Lopato s'avoue ogre musical avec le besoin de s’imbiber d’un tas de choses en permanence, de connaître les arcanes de certaines histoires même si cela conduit parfois à se perdre dans des choses très compliquées et insolubles. Sa musique repose sur des recherches aventureuses dont il n’a pas toujours la solution, et c’est finalement cette recherche que l’on entend sur ses disques. Pour cet album, il a réuni des échantillons de tout ce qu'il a fait auparavant, parce que ce projet était à la base un assemblage, un puzzle.
Le principe de sa musique est basé sur la Parallax, à savoir la perception que l’observateur aura d’un morceau en fonction de l’endroit où il se trouve, de la façon dont il l’écoutera. John Cage a théorisé ça en musique en comparant les répétitions des alignements de bouteilles de Coca, et en faisant remarquer que si toutes les bouteilles sont les mêmes, le regard de chacun sur les mêmes bouteilles sera différent. Lopato est persuadé que sa musique procure le même effet.
On le découvre aussi fan de Lynch … à partager ce goût du paradoxe. Lynch est quelqu’un qui peut raconter des histoires simples en utilisant des procédés extrêmement abstraits, et par ailleurs raconter des histoires très compliquées en employant presque des formes du soap. Cette manière de naviguer ainsi entre ces différentes dimensions correspond également à la façon d’envisager sa musique. Lopato adore les gens qui parviennent à créer une zone dangereuse entre le banal et l’hallucinant, et avoue se situer dans cette zone.
Ces derniers temps il travaillé pour la première fois avec d’autres gens, notamment avec FKA Twigs, David Byrne, ou encore Iggy Pop sur le morceau final du film Good Time dont il a écrit la musique. Cet échange lui a permis de se retrouver confronté à des gens qui appréciaient certaines de ses idées et lui demandaient de les reproduire. Ce qui l'amène aujourd'hui à ne peux plus faire de la musique en se fiant à son seul instinct, car il a découvert le bonheur de la contradiction dans la création pour aboutir à quelque chose d’intéressant. Aussi accessible que restant toujours pointu et surprenant, un nouveau coup de poker qui ramasse la mise. Conseillé des deux oreilles !
Jean-Pierre Simard avec Christophe Conte le 5/06/18
Oneohtrix Point Never - Age of - Warp Records