Remettre de la chair sur la pierre avec Vincent Gouriou
Vincent Gouriou travaille l'image comme s'il sculptait des approches de l'intime. Sur les corps, les attitudes, les poses ou les transformations, il regarde, flashe en se posant des questions qui nous semblent de tout premier intérêt. On développe.
On sent que Vincent Gouriou, au sortir de son vernissage et de l’exposition panoptique d’au moins Quatre séries, cherche toujours à voir et à comprendre ce qui relève d’un texte enfoui en lui, comme d’une résolution sue et obligeante. C’est pourquoi un lien avec un certain cinéma se crée dès la vue de ses photographies et qu’un rêve de cinéma inspiré d’Assayas, de Chéreau, voire plus loin de Bresson, cherche à entretenir et développer les liens secrets qui l’unissent à l’image, image mouvement ou image fixe, dont sa photographie serait un premier pas, dans la construction d’un récit photographique.
Ce qui s’inscrit ostensiblement dans ces quatre séries, que ce soit de Pierre & de Chair, ou toute la statuaire classique est largement évoquée, revue aux courbes des corps masculins qui luttent, s’aiment, apparaissent, fusionnent et s’étreignent dans une gestuelle esthétiquement inspirée des classiques , ou ce travail de portrait qui s’attache à rendre compte par l’image, de l’Autre, une humanité souffrante, ici toute en délicatesse et douceur, dans une attitude ouverte et anoblissante, dans l’éveil d’une dramaturgie sobre et délicate, sensible, creuset de l’énonciation romancée, persona déliée de toute souffrance à l’instant des prises de vues, représentations dont la théâtralité éveille la lumière intérieure de chacun pour porter la présence à l’image. Vincent Gouriou cherche l’ image juste, le temps d’un partage, énonce une part d’universalité, s’attache au secret de son sujet en passant par le sien propre, est-il ce menteur qui dit vrai?
Il faut dépasser un premier regard formellement caressant et complice. Le temps des secrets le ramène à cette adolescence tactile. Il y a comme une nécessité d’ordre psychologique qui le pousse à s’échapper des catégorisations socio-culturelles amalgamant différences et normalités. Ce regard social lié aux catégorisations sexuelles, produit un enfermement, une clôture absolue et coupante dont il est nécessaire de sortir. Cette approche de l’intime décloisonne, regarde, s’éprend, aime, autant de vecteurs qui entrent en résonance et raisonance avec les travaux exposés, que ce soient celui de portraits à la lumière froide, inspiré de la peinture flamande, dans une distance ou plus encore la série Instants d’ Abandon, où un jeune homme nu dans une baignoire à l’eau savonneuse et blanche, repli foetal métaphoriquement, lait de la substance lactée, de dos, évoque un Werther moderne retiré en lui même. Ceci me ramène à un acteur qui évoque si bien cet état de l’intimité, ambigu, révolté, secret, un Melvil Poupaud, dont la peau est fleur de silence, dialogues réfléchissants, métaphoriquement lumineuse.
Au delà des nuances et des corps singuliers, Vincent Gouriou semble moins chercher la fêlure, la marge de ses modèles, puissance de fascination et d’attirances, Eros donc au premier plan, entendu par ce qui attire, ce qui absorbe, que le mouvement d’allègement des êtres eux même, toujours par cette évidence muette du lien, avec un autre corps, avec une autre âme, avec leur propre image, travail conjoint du peintre, du sculpteur, du modèle qui, dans une phase de préparation doit se laisser mourir à lui même et accepter de rencontrer ce qui émane des profondeurs, dans une instance ou le non avoué, le non avouable est un message codé, secret, pris en charge par la peau, l’attitude, le regard, le corps et, surtout, qui devient matière du portrait, de la photographie de Vincent Gouriou ; cette fidélité au rêve perçant revient à écrire les accords d’un silence qui a cessé de taire sa différence mais au pli d’un ailleurs créé dans l’interstice que la photographie établit en tant que temps secret et fondateur.
Nul doute que ces portraits sont l’intimité même du photographe qui, pérégrinations en ses chemins d’aube, de crépuscule, adoube et instille ces lumières de la chute du jour, celle de sa naissance, à l’heure bleue, annonçant cette pénombre qui permet aux secrets de s’échanger… La nuit n’est plus le linceul des feux qui font la raison, mais l’eau matricielle des rêves qui enfantent le jour. Vénus, nous dit-on, est issue des eaux dormantes, et un ciel illuminé, est encore mélancolie verlainienne et romantique.
Parfois un parfum de querelle annonce Jean Genet, fascination des textes qui firent de l’homosexualité la terre promise des sentiments et des plaisirs dits coupables, offrant au personnage, le sacrifice des bien pensants dans une chute vertigineuse digne de don Juan, occupant toute révolte contre l’establishment de toute honte paternelle, pour donner le sentiment d’une liberté assumée. Cette instance court volontiers dans l’ombre de la photographie de Vincent Gouriou, qui tend son film intérieur à la plastique ascensionnelle du rêve d’un jour neuf et grand, au delà des ostracismes, dans la bienveillance de ses contemporains, rêve tendu d’universalisme.
Mais c’est par le récit que se fait l’esquisse d’une narratologie, de la possibilité d’un film. Celui-ci prendrait en charge tous les éléments de la série, travail qui devrait commuer les interstices de l’exposition assez fragmentée en langage plein, afin d’ établir le propos constant de l’oeuvre et de son déploiement. Une diégèse (mécanisme de narration) assumée serait porteuse d’un sens plus universel même si cette mimesis (montrer) pourtant assez précieuse dans la dénonciation du regard général finit par s’extraire en se réduisant… Personnage narrateur, immergé dans sa propre histoire, Vincent Gouriou occupe comme Shéhérazade la place d’un conteur à l’intérieur d’un dialogue en images. C’est à ce moment que cette méta-diégétique peut porter un récit tout autant ouvert et polysémique, mais plus liant sur le plan imaginaire, scriptural, ou l’autre peut alors s’énoncer sans doute plus librement dans ses choix, puisqu’il appartient désormais à une autre réalité narrative, à une autre cohérence plus distante…. la possibilité d’un jeu s’inscrit alors plus objectivement dans une distance, sous d’autres paramètres intérieurs, pour déplacer l’énergie des images vers plus de fluidité et de portée… un chant léger.
Pascal Therme le 7/05/18
Vincent Gouriou Instant d'Abandon -> 21/06/18
Galerie David Guiraud 5, rue du Perche 75003 Paris