Le New York résilient de Gramercy Park

Deux personnages new-yorkais s'observent, se croisent et se rencontrent autour de Gramercy Park : Madeleine et le gangster Mister Day. La résilience appliquée à la BD est une nouvelle façon d'aborder le récit. Une super histoire servie par un dessin au petit poil. 

Il est grand, ténébreux, effrayant. C’est un caïd, un truand prudent dans le New York des années 1950, qui ne sort qu’une fois par semaine de son immeuble, où vit aussi une petite fille, pour une mystérieuse virée en automobile. Dans l’immeuble d’en face, une jeune femme blanche le regarde. Elle s’occupe de ses abeilles, mais elle tente aussi de soigner son coeur blessé. Un jeu de regard s’installe. Romantique? Malsain? Et qui manipule qui dans cette histoire ?

Timothée de Fombelle signe ici son premier scénario de bande dessinée adulte et c’est une belle réussite. Car avec un texte parcimonieux, tant dans les dialogues – superbement tournés – que dans la voix off romanesque de l’héroïne, il compose un polar très littéraire qui laisse aussi les images parler. Des dessins superbes signés Christian Cailleaux (Les Longues TraverséesPiscine Molitor, Embarqué…), qui marche sur les pas d’un Loustal tout en affirmant une personnalité forte, plus sensuelle et  sensitive  certainement, par la douceur de ses ombres au crayon et les aplats sobre de couleur. Ensemble, les auteurs jouent sur les silences, les vides et les absences. Les regards croisés aussi, dont on ne sait s’ils sont suspicieux, envieux, aguicheurs ou désespérés, mais qui sont de toutes façons déformés car filtrés par une vitre – d’un appartement, d’une voiture, d’un café. Pour renforcer le mystère de l’histoire, flash-back et ellipses viennent casser un peu la structure théâtrale générale.

Un peu perdu et sonné, on se laisse alors envoûter par le rythme lancinant de cette BD mi-mélo mi-noire, comme une chanson de jazz déchirante de beauté et de dépression, et hypnotiser par les yeux à la fois durs et tendres d’Audrey Hepburn qui prête ses traits à l’héroïne. 

Un seul bémol à ce propos laudateur, à vouloir coller au canevas du film classique d'Hollywood, on souhaite aux deux compères, la prochaine fois,  de trouver un vrai financement et une prod; histoire de faire passer leur découpage à un vrai long métrage. Fermez le ban ! 

Rodolphe Nietzsche le 14/05/18

Gramercy Park de Christian Cailleaux et Thimothée de Fombelle, éditions Gallimard